Hanane Karimi, Les femmes musulmanes ne sont-elles pas des femmes ?

Voiler / Dévoiler

Reli­gion et signes osten­ta­toires occupent le débat natio­nal fran­çais depuis « l’affaire du fou­lard » - à l’automne 1989, trois élèves sont exclues du col­lège Gabriel-Havez, à Creil, car elles refu­saient d’ôter leurs fou­lards -, un micro-événement grossi par les médias de masse, repris par les puis­sances poli­tiques. Depuis, une forme nou­velle de dis­cri­mi­na­tion consiste à déni­grer et à pour­chas­ser les femmes dési­gnées comme musul­manes, c’est-à-dire celles por­tant le hid­jab, le niqab, le bur­kini ou le jil­beb.
La doxa a pro­duit une inter­dic­tion minis­té­rielle du port de ces vête­ments, en amal­ga­mant les musul­mans aux kami­kazes des atten­tats isla­mistes, assi­mi­lant de fait tous les musul­mans à des ter­ro­ristes. Cer­taines fémi­nistes se sont alliées à ces pré­sup­po­si­tions, dénon­çant le retour d’une sujé­tion de la femme musul­mane. Ce débat porte une fois de plus sur la sym­bo­lique du corps fémi­nin et de sa visi­bi­lité accep­table ou non.

Hanane Karimi (franco-marocaine née en 1977 à Troyes, doc­teure en socio­lo­gie, maî­tresse de confé­rences à l’université de Stras­bourg), dans ce livre-essai extrait de sa thèse, s’interroge sur la per­ti­nence de la laï­cité obli­ga­toire quand elle devient excluante à l’égard des femmes musul­manes, et ana­lyse « la doxa hégé­mo­nique » des lois fran­çaises.
Le grand fourre-tout idéo­lo­gique, « 
l’islam, les isla­mistes, les musul­mans et le voile », rap­pelle la pro­pa­gande anti-FLN et anti-guerre de libé­ra­tion algé­rienne du colo­nia­lisme : « les jeunes algé­riens qui res­tent atta­chés à l’islam, la civi­li­sa­tion isla­mique et la langue arabe leur vaut la désap­pro­ba­tion des Euro­péens d’Algérie et la cri­tique de la presse colo­niale, qui les accusent de natio­na­lisme et de pan­is­la­misme », (Mah­foud Kad­dache). De facto, nous rap­pelle l’autrice, « l’identité arabe ou magh­ré­bine et musul­mane semblent indis­tinctes dans les repré­sen­ta­tions col­lec­tives en Occi­dent », pro­pa­gande que l’histoire véhi­cule sou­vent de manière péjo­ra­tive et simpliste.

Je dirais pour ma part que l’anonymat des masses de tra­vailleuses et tra­vailleurs afri­cains, nord-africains, immigré.e.s ou migrant.e.s, est le fruit d’un consen­sus poli­tique et éco­no­mique (pro­fi­table au patro­nat, aux petites, moyennes et grandes entre­prises). Ont été long­temps pas­sées sous silence les dif­fi­cul­tés exis­ten­tielles de cette frange de la popu­la­tion, située au bas de l’échelle sociale, en proie aux ravages de la pau­vreté, de la toxi­co­ma­nie, des mala­dies, des incar­cé­ra­tions des bi-nationaux clas­sés comme « délinquant.e.s ».
La pra­tique des prières à la mos­quée, du rama­dan chez les
beurs a généré un sem­blant d’hégémonie, ce qui a contri­bué à gom­mer les par­ti­cu­la­risme des indi­vi­dus et à ren­for­cer leur stig­ma­ti­sa­tion. Les défi­ni­tions changent, l’illégitimité pas.

Hanane Karimi ana­lyse le « retour auto­ma­tique aux ori­gines (…) au pro­fit d’une assi­gna­tion iden­ti­taire [et d’une] vision cultu­ra­liste [qui] nour­rit les dis­cours xéno­phobes et isla­mo­phobes » et leurs consé­quences. La culture domi­nante en France, issue de l’universalisme des Lumières, a ses ver­tus et une face cachée, alié­nante, oppres­sive et into­lé­rante. Ainsi, une ter­mi­no­lo­gie propre à « l’ordre répu­bli­cain » a varié au cours des décen­nies, pas­sant de l’intégration à l’assimilation, de la méri­to­cra­tie à l’identité natio­nale, puis aux « ter­ri­toires per­dus de la répu­blique », à la dés­in­té­gra­tion jusqu’aux dérives odieuses d’insultes telles que « la racaille » et de menaces fas­cistes du « grand rem­pla­ce­ment ».
Je cite H. Karimi : « 
La haine de l’islam pré­cède celle du voile ». Or, la liberté d’opinion, d’expression et de liberté confes­sion­nelle sont la marque de fabrique de l’esprit des Lumières. Ceci dit, ce prin­cipe d’égalité concer­nant tous les indi­vi­dus semble remis en ques­tion au vu des exclu­sions, humi­lia­tions subies par des femmes por­tant un voile : une mise au ban des femmes musulmanes ?

« Cette fabrique du pro­blème musul­man » recou­pant « l’islamo-gauchisme » res­semble étran­ge­ment (et tra­gi­que­ment) à la fabrique de « tous les Unter­men­schen (« sous-hommes ») - Juifs, mais aussi Tzi­ganes, malades men­taux, Polo­nais, Slaves… [qui] - ont consti­tué des cibles de la croi­sade nazie contre le « judéo-bolchevisme » (Domi­nique Vidal). La mise au pas auto­ri­taire de nou­veaux codes de conduite affecte l’ensemble de notre société, renou­ve­lant la pra­tique du dres­sage des corps des femmes, leur dis­ci­pli­na­ri­sa­tion.
Néan­moins, ce gros­sis­se­ment du « 
pro­blème musul­man » n’est pas neutre, sachant que le monde social est appré­hendé par les frac­tions des « élites » cir­cu­lant dans le « champ du pou­voir » (Julien Beaugé, Abdel­lali Haj­jat), au pro­fit de prin­cipes géné­ra­listes, lar­ge­ment média­ti­sés, cau­sant la frac­ture et la divi­sion du monde social.

Hanane Karimi épingle la repro­duc­tion des vio­lences struc­tu­relles de la domi­na­tion aux « effets sociaux et psy­cho­so­ciaux désas­treux », la créa­tion d’une « fémi­nité héré­tique ». Elle dévoile le quo­ti­dien des femmes voi­lées, les pho­bies qu’elles génèrent, la « dépré­cia­tion sociale » qu’elles subissent, avec l’instauration d’un nou­veau popu­lisme anti-musulman.

yas­mina mahdi

 Hanane Karimi, Les femmes musul­manes ne sont-elles pas des femmes ?, éd Hors d’atteinte, coll. Faits et idées, paru­tion 3 mars 2023 — 20,00 €.

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