Jacob Glatstein, Voyage à rebours

Si c’était mieux traduit…

En 1934, Jacob Glat­stein quitte New York, à bord d’un bateau, pour retour­ner en Pologne afin de revoir sa mère mou­rante.
Vingt ans aupa­ra­vant, il avait fait le voyage dans l’autre sens. Le récit de ses ren­contres sur le navire et durant la suite de son par­cours offre un inté­rêt à la fois docu­men­taire – l’auteur est doué pour cap­ter l’esprit du temps – et lit­té­raire, grâce à l’écriture vigou­reuse, sou­vent pit­to­resque, par­fois poé­tique et tou­jours empreinte d’humour de Glat­stein. Hélas, la tra­duc­tion est émaillée d’imperfections qui gâchent le plai­sir au lecteur.

Certaines phrases res­tent obs­cures même quand on les a relues plu­sieurs fois : “Pour le « luxe » de vivre (en plus du toit au-dessus de ma tête, du vête­ment, du repas chaud et de ma femme), je me suis débar­rassé de tant de pro­blèmes empoi­son­nés.“ (p. 37). Les fautes de concor­dance des temps sont si frap­pantes qu’on subo­dore que per­sonne n’a relu le manus­crit (pp. 40, 46–47, 139, 144). Par endroits, le dis­cours rap­porté est tra­duit dans un mélange de styles direct et indi­rect qui brouille le sens : “- Com­ment ai-je pu pen­ser qu’il était juif ? me demanda-t-il.“ (p. 61) ou “- Oui, à Paris, elle a beau­coup d’amis russes. Mais ceux-là, me confie-t-elle, sont très dif­fé­rents des gardes blancs.“ (p. 144).

A ces défauts s’ajoutent des mal­adresses et des lour­deurs : “Dans le para­dis inter­na­tio­nal du navire, la nou­velle concer­nant Hit­ler fut la pre­mière gifle reçue à ma judéité“ (p. 50), “Pour cela, il fal­lait même se conduire avec ses enfants sans s’encombrer de racines, car à quoi bon prendre le temps de nouer une vraie connais­sance ?“ (p. 52), “Que ferai-je à soixante ans, quand la lit­té­ra­ture, sous la pres­sion éco­no­mique d’une « guerre de trente ans », aura tota­le­ment perdu ses fon­de­ments et ne res­tera que la curio­sité des médi­sants pour explo­rer « le livre de vie » l’un de l’autre ?“ (pp. 53–54) ou “Je ne rat­ta­chais pas le moins du monde sa classe ouvrière sous les traits épui­sés de nos tra­vailleurs de la ville“ (p. 131).
On peut rele­ver aussi des incon­grui­tés telles que “dures et friables comme des crêpes“ (p. 130) ou “ces mor­ceaux de viande dures“ (sic !), “qu’il faut mâcher comme de coriaces peaux d‘oie et qui s’emmêlent dans la bouche comme les pages d’un recueil de prières“, des­crip­tion cor­res­pon­dant à un plat de tripes (p. 228).

On est cer­tain que c’était mieux for­mulé dans le texte ori­gi­nal, mais faute de connaître le yid­dish, on n’a aucun moyen de devi­ner en quels termes.

agathe de lastyns 

Jacob Glat­stein, Voyage à rebours, tra­duit du yid­dish par Rachel Ertel, l’Antilope, jan­vier 2023, 352 p. – 23,00 €.

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