La Cerisaie (Anton Tchekhov / Clément Hervieu-Léger)

Ruines de l’ancien monde

Cinq ans après avoir quitté la Rus­sie tsa­riste pour Paris, suite à la noyade de son jeune fils, Liou­bov (la pro­prié­taire de la Ceri­saie) retourne au domaine fami­lial qu’elle a laissé entre les mains de son frère, Gaiev, et de ses filles, Varia et Ania.
Sa chambre d’enfance consti­tue le décor de ce qui se fait le sym­bole de tout un monde : celui d’une classe aris­to­cra­tique dépas­sée par les muta­tions sociales et éco­no­miques d’un empire tsa­riste en plein effort de moder­ni­sa­tion, au tour­nant du XXème siècle. Liou­bov découvre que la Ceri­saie a été mise aux enchères pour rem­bour­ser les dettes de la famille !

Incar­nant les der­niers tenants d’un monde qui s’écroule, cette fresque fami­liale met en scène l’immobilisme d’une aris­to­cra­tie russe accro­chée à son passé. La vente aux enchères de l’ancien monde signe l’avènement d’un autre. Lopa­khine, fils de mou­jik et devenu riche homme d’affaires, conjure la famille de sau­ver la pro­priété en rasant le ver­ger de ceri­siers pour y construire et y louer des dat­chas aux esti­vants. Il sym­bo­lise l’ascension sociale de la classe com­mer­çante qui pro­fite des efforts de réfor­misme et d’industrialisation que connaît le pays.
Le sif­fle­ment du train - orches­tré par une mise en scène qui accorde beau­coup d’importance aux effets sonores pour plan­ter le décor d’un exté­rieur cam­pa­gnard ou d’une ambiance de salon fes­tif - évoque la construc­tion du réseau fer­ro­viaire, un élé­ment par­ti­cu­liè­re­ment révé­la­teur de la moder­ni­sa­tion de l’Empire.

À l’histoire fami­liale, ponc­tuée de gestes d’amour tendres ou contra­riés, se mêlent d’inlassables dis­cus­sions moné­taires aux­quelles Liou­bov et Gaeiv ne veulent se prê­ter. Par­ti­sans de valeurs sclé­ro­sées et d’un mode de vie qui n’a plus lieu d’être, ils ferment les yeux sur l’imminence du dan­ger et accueillent les évé­ne­ments avec fri­vo­lité. Or, le pas­sage du registre comique au registre tra­gique manque sou­vent de sou­plesse ; et c’est sans vraie nuance que Flo­rence Viala, jouant la matriarche Liou­bov, passe d’un éclat de rire extra­va­gant à un san­glot bou­le­versé.
Il faut, en plus, attendre la seconde par­tie de la pièce, après que la chambre bleue ait fait place à l’intérieur rouge du salon, pour que le reste de la dis­tri­bu­tion s’anime grâce à l’excellent tra­vail cho­ré­gra­phique signé Bruno Bou­ché. L’irruption de la danse et de la musique redy­na­mise une mise en scène jusque là peu convaincante.

Heureu­se­ment que Loïc Cor­bery, inter­pré­tant Lopa­khine, finit par nous convaincre, in extre­mis, dans les moments de folie qui sai­sissent son per­son­nage : le riche mar­chand finit par ache­ter aux enchères la Ceri­saie ! Il en rasera les ceri­siers pour mener à bien son pro­jet immo­bi­lier.
Le mariage man­qué entre Lopa­khine et Varia ne per­met pas à Liou­bov ni aux autres de sor­tir indemnes de la situa­tion et ceux-ci sont chas­sés du domaine où le père et le grand père de Lopa­khine furent un jour esclaves.

La Ceri­saie est aban­don­née.
Dans un geste par trop gran­di­lo­quent, le tableau figu­rant ces ceri­siers s’effondre avant le noir final d’une pièce por­tée par une scé­no­gra­phie sans ardeur.

clara oos­sutta

La Ceri­saie

d’Anton Tche­khov

mise en scène Clé­ment Hervieu-Léger

© Bri­gitte Enguérand

Avec Michel Favory, Véro­nique Vella en alter­nance avec Julie Sicard, Éric Géno­vèse, Flo­rence Viala, Loïc Cor­bery, Nico­las Lor­meau, Ade­line d’Hermy, Jérémy Lopez, Sébas­tien Pou­de­roux, Anna Cer­vinka, Rebecca Mar­der, Julien Fri­son, et les comé­diens de l’académie de la Comédie-Française Vian­ney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Ber­thoud, Héloïse Chol­ley, Fanny Jou­froy, Emma Laristan.

Tra­duc­tion André Mar­ko­wicz et Fran­çoise Mor­van ; scéno­gra­phie Auré­lie Maestre ; cos­tumes Caro­line de Vivaise ; lumière Ber­trand Cou­derc ; musique ori­gi­nale Pas­cal San­gla ; son Jean-Luc Ris­tord ; tra­vail cho­ré­gra­phique Bruno Bou­ché ; assis­ta­nat aux cos­tumes Claire Fayel ; col­la­bo­ra­tion artis­tique Auré­lien Hamard-Padis.

Durée : 2h20sans entracte

Comédie-Française – Salle Richelieu,

99 Rue de Rivoli Place de la Pyra­mide Inver­sée, 75001 Paris
du 31 octobre 2022 au 30 jan­vier 2023

https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/la-cerisaie2122

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