Des pommes acides dans un verger de miel
« Il faut toujours garder ses secrets pour en faire un jardin » (N.H.)
Le roman de Nicole Hardouin est délicat, précieux, habile, inattendu quant à sa chute. Il pourrait être un des romans incontournables de la rentrée. Mais il est publié chez un éditeur qui, s’il fait beaucoup pour la littérature, demeure boudé voire ostracisé par la critique : L’Harmattan.
Via sa narratrice, l’auteure crée tout un jeu de contrastes, reflets d’une inquiétude existentielle oppressante mais qui ne se donne jamais (ou rarement) comme telle. Nicole Hardouin cultive même parfois une certaine légèreté d’être et un érotisme feutré lié à une écriture nerveuse, sèche à travers laquelle peu à peu les masques tombent, les stratégies dérapent et ouvrent sur un abîme. La romancière fait glisser dans une atmosphère étrange qui n’est pas sans rappeler — par ses lignes et ses couleurs sombres qu’on ne comprendra vraiment qu’à la fin — l’expressionniste d’un Kirchner comme l’impressionnisme d’un Degas. Dans un univers essentiellement clos, tout se déroule dans une suite de faces-à-faces. Ils vont faire remonter à « la nuit sexuelle » pour parler comme Quignard. Car, en fin de compte, ce sera bien d’elle qu’il s’agit au moment où les semelles rouges ne sont plus celles des Louboutin.
Avant d’en arriver là, Nicole Hardouin ramène le roman à l’état de déposition dans une triangulation qui finalement n’est pas celle qu’on aurait pu croire. Certes des indices sont donnés mais ils ne sont compris qu’après coup par le lecteur comme par les protagonistes. Ces indices sont donc des objets de perte et non résurrection. Le secret vient une fois de plus affirmer son autorité : il est au bord du corps ou plutôt dedans. Car la question que finalement pose le livre dans ses dialogues est celle du corps. La question la plus dangereuse puisqu’il s’agit de celle de l’identité et de l’origine.
Pareil au jeune Igitur de Mallarmé, Nicole Hardouin descend dans “ le caveau des siens ” – à savoir de ses personnages. Ils sont à la recherche d’un “ moi pur ” mais cette quête (d’abord vengeresse) va les acculer à la réminiscence non seulement du désir mais d’une sorte de vide sépulcral. En montrant ces héroïnes, la romancière a le talent d’en fausser les cartes. Elle illustre combien sous un ciel de lit il s’agit autant de prise que d’ensevelissement et combien la question de l’être reste celle du mystère de l’apparentement.
Si le lecteur parfois croit voir le jour, il perçoit à travers l’écriture et son étrange beauté un mouvement d’ombres qui passe et disparaît, revient. Par ce biais, la romancière réinvente le secret, son tombeau et la solitude. La mémoire des personnages progressivement se dédouble afin de recouvrir des possibles auxquels le lecteur donne le nom d’histoire mais qui est de fait bien plus. A savoir, une fable voire un mythe revisité. On se souvient alors des tombes étrusques qui étaient l’envers mais aussi la duplication de la maison habitée. Le roman Les semelles rouges retrace la même trajectoire.
jean-paul gavard-perret
Nicole Hardouin, Les semelles rouges, Collection Ecritures, Editions L’Harmattan, Paris, 2013, 198 p., 19,50 €.