Celle qui vient de partout et de nulle part — un point c’est tout : entretien avec Clémentine Chevaline

Clémen­tine Che­va­line, en insa­tiable prê­tresse, est capable d’intégrer du feu dans ses sculp­tures non sans humour. Ses pou­pées (Ombe­line, Aiglan­tine et les autres) y agréent. Tout cela n’est pas très sage : mais pour notre ravis­se­ment. Les démones sont au poil. Elles ne plombent en rien le moral. Au contraire.
Il faut dire que, depuis qu’elle est petite, “les vieilles pou­pées me fas­cinent autant qu’elles me font rire (vous savez celles avec des têtes d’adultes qui font flip­per tout le monde mais qui à la base étaient des­ti­nées aux enfants, donc j’imagine choyées par eux aussi à l’époque…)”. Ses parents se demandent par­fois d’où ça vient, ces pou­pées “un peu dark et tout et tout. Ne cher­chez pas plus loin. …” dit-elle. Pareil pour le mot « tueur »,” ce mot m’a tou­jours fait un peu rire”. Car elle était enfant un peu spé­ciale. Et a su le rester.

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Entre­tien :

Quʼest-ce qui vous fait lever le matin ?
Le fait d’avoir fina­le­ment choisi d’être artiste. Oh, bizarre cette phrase… parce que déjà on ne choi­sit pas, et en plus ça veut dire quoi être artiste. Hmmm je veux dire ce qui me fait lever le matin c’est ce sen­ti­ment de liberté de choi­sir d’être qui on est vrai­ment, je veux dire d’assumer ça. Bon, je vous avoue que ce n’est mal­heu­reu­se­ment pas tous les matins, mais il est là suf­fi­sam­ment je crois, assez pour me dire que j’ai de la chance.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils se rap­prochent à nou­veau… Je les avais quasi per­dus pen­dant un moment je crois, en tout cas de vue, pfiou ! j’ai eu chaud !

A quoi avez-vous renoncé ?
A res­sem­bler à ce qu’on attend de moi.

Dʼoù venez-vous ?
De mes parents et de mon envi­ron­ne­ment fami­lial, de mon édu­ca­tion je sup­pose, de mes amis, de mes amours (je parle de tous hein, lit­té­raires, musi­caux, ciné­ma­to­gra­phiques com­pris) et puis aussi juste de nulle part, de moi, comme un petit bout de je ne sais pas quoi de pas­sage sur terre, qui res­sem­ble­rait à un petit point mais qui fait quand même son petit truc sur Terre, haha. J’aime cette idée.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Un peu de folie douce, pas trop d’injonctions ça va, mais quelques-unes quand même, par­fois assez pour être pas mal en colère de la dif­fi­culté de s’en débar­ras­ser, c’est assez connu ça colle… Un tem­pé­ra­ment assez anxieux, et même pas très sécure par­fois, il y en a pas mal dans la famille… Une sen­si­bi­lité par­ti­cu­lière et l’humour qui va avec.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Mar­cher en cam­pagne, par chez moi, dans les monts de Flandres.

Com­ment organisez-vous votre jeu entre Eros et Tha­na­tos ?
Bon, j’ai dû véri­fier le mythe sur Wiki­pé­dia, c’était plus sûr. Je suis pas une grande éru­dite… ça va, j’étais pas loin. Bah, comme un jeu jus­te­ment, on s’entend plu­tôt bien tous les trois, on se tient les mains, on fait la ronde et on tourne !!! Par­fois on fait des petits sel­fies à la manière d’un groupe de rock (et là vous vous deman­dez, hmmm est-ce qu’elle a bien compris…)

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Je crois que c’est la vision d’une mai­son dans la pénombre, avec ses fenêtres éclai­rées, une boite sombre et des petites ouver­tures lumi­neuses, flou­tées par des rideaux. Cet effet « mai­son de pou­pée », ce contraste, vision sur­réa­liste, délice mys­té­rieux, et cette envie de regar­der à tra­vers les fenêtres, comme pour décou­vrir des secrets, mais en même temps conser­ver le tout, pro­fi­ter de ce que cette image pro­dui­sait chez moi.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Je crois que c’est le conte ‘Michka”, ou “Boucle dʼOr” peut-être…

Quelles musiques écoutez-vous ?
Hmmm, beau­coup, sur­tout des choses actuelles (en tout cas pas très vieilles), pourvu qu’elles ne s’inscrivent pas trop dans des genres pré­dé­fi­nis. Des trucs auda­cieux mais qui s’amusent aussi avec les codes. J’aime quand c’est mélo­dique, lyrique, sombre, étrange, oni­rique. Du dark lumi­neux quoi. J’adore Kate Bush par exemple. J’aime aussi beau­coup les gros syn­thés des année 80.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je suis allée voir les quelques livres que j’ai gar­dés après mon der­nier démé­na­ge­ment, ça m’a aidé pour répondre à cette ques­tion. Et je dirais donc : “Le des­tin mira­cu­leux d’Edgard Mint” de Brady Udall, une épo­pée d’enfance sur fond d’Ouest Amé­ri­cain, un délice…

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Caphar­naüm », « Les bêtes du Sud Sau­vage »… ce genre de films (ah bah, on retrouve un peu dʼEd­gar Mint d’ailleurs).

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je suis allée me regar­der dans le miroir. Un enfant vieillis­sant, un adulte qui a encore des choses à vivre et à dire, mais déjà un peu fati­gué, fais chier merde, par­don pour le langage.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A ma sœur.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Alors là je sèche, l’Ouest amé­ri­cain haha.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Alors, les écri­vains dont je me sens le plus proche sont des auteurs de bande des­si­née ou des auteurs de lit­té­ra­ture jeu­nesse, donc je cite­rai Edward Gorey (même si ses livres sont autant des­ti­nés aux adultes, c’est d’ailleurs cette sin­gu­la­rité que j’aime), sinon je dirais Lewis Caroll, Shi­gueru Mizuki, Kitty Crow­ther… Mais je pour­rais en citer bien d’autres. Et les artistes dont je me sens le plus proches sont fina­le­ment quasi tou­jours des auteurs, j’ai donc répondu à la question !

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une mai­son de pou­pée ancienne, magni­fique, style vic­to­rienne, avec tout l’intérieur amé­nagé. Je la pose­rai sur un gué­ri­don, dans ma grande mai­son de style Vic­to­rien aussi, que j’aurais éga­le­ment eue à mon anniversaire.

Que défendez-vous ?
La dif­fé­rence, la sin­gu­la­rité, le mys­tère, j’en fais même une ode à chan­ter dans ce monde de brutes, tout lisse, déserté par la poé­sie, ou envahi par la bêtise (j’imagine qu’il doit y avoir un rap­port de cause à effet).

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Ohlala, je ne sais pas du tout… pas trop fan de psy­cha­na­lyse, ce truc de rat­ta­cher tou­jours et tou­jours tous ses com­por­te­ments, toutes ses pen­sées et ses moti­va­tions à la cel­lule fami­liale. Ok, il y en a c’est cer­tain, mais pas autant fran­che­ment. Je n’aime pas l’idée de n’être réduit qu’à un pro­duit de ses parents, pas assez mys­tique pour moi, et l’individu connecté à la nature, aux secrets et aux mys­tères du monde ??? Nan fran­che­ment, c’est trop triste la psy­cha­na­lyse, ça manque d’ouverture, de poé­sie. Et puis les sciences cog­ni­tives, on en fait quoi hein ?…

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Ca c’est beau­coup plus drôle ! Je pré­fère net­te­ment :)

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Aucune je pense, c’est déjà pas mal je crois :) .

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 7 novembre 2022.

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