Guillaume Sorel, Hôtel Particulier

Un sédui­sant fantôme !

Dans un immeuble, au cœur de la ville, une jeune femme se sui­cide dans sa bai­gnoire. Son fan­tôme se met à déam­bu­ler dans le bâti­ment, visi­tant les appar­te­ments, assis­tant à la vie de leurs occu­pants. Elle découvre, ainsi, leurs secrets, leurs liens, leurs carac­tères. Invi­sible, sauf pour un chat qui lui parle, elle suit les exis­tences de quelques per­sonnes. Elle assiste, ainsi, à la consom­ma­tion d’une rup­ture entre un artiste-peintre rési­gné et son ex-amour. En pas­sant à tra­vers un mur, elle se retrouve dans une chambre où un couple fait l’amour sous le regard du mari, caché dans une armoire.
Après un récit du chat, elle découvre un pla­card fan­tôme où est rete­nue pri­son­nière une petite fille par­ti­cu­liè­re­ment tyran­nique avec ses jouets. Elle résout le mys­tère qui entoure ce loca­taire soli­taire capable de faire sur­gir les per­son­nages qui peuplent sa biblio­thèque et qui se livrent à des bac­cha­nales. Elle assiste à une ven­geance de la gente féline du quar­tier. Elle découvre, par les des­sins, que l’artiste s’intéressait à elle, la cro­quait, sans oser l’aborder. Peu à peu, elle est atti­rée par cet homme tou­chant qui croit en la magie et…

Hôtel par­ti­cu­lier est un conte fan­tas­tique, un récit inso­lite où inter­fèrent la réa­lité et le rêve, où se côtoie l’étrange et l’imaginaire. Guillaume Sorel choi­sit de mettre en scène une his­toire mer­veilleuse toute en émo­tions et sen­ti­ments, en empa­thie et en déli­ca­tesse, loin des débor­de­ments san­glants où baigne le genre aujourd’hui. On retrouve cette atmo­sphère qui pré­si­dait à ces récits du XIXe siècle avec les prin­cipes fon­da­teurs du genre, issus d’événements qu’on ne sait, sans doute, pas per­ce­voir. Pour­quoi ne serions-nous pas entou­rés de fan­tômes ? Que deviennent ces vingt-et-un grammes que le corps perd au décès et qui est censé repré­sen­ter l’âme ?
L’auteur pro­pose, avec les péré­gri­na­tions de sa ravis­sante héroïne, de décou­vrir quelques exem­plaires bien repré­sen­ta­tifs de l’humanité souf­frante. Le chat, les chats sont éga­le­ment mis en vedette. Ils occupent une place émi­nente dans le dérou­le­ment de l’intrigue. Les atti­tudes ingou­ver­nables de ces félins, leurs com­por­te­ments sont fine­ment étu­diés. Les armoires occupent une place impor­tante, tant dans le dérou­le­ment de l’histoire que dans les décors.

À tra­vers son récit, il pro­pose une vision fon­dée de la soli­tude, la façon de meu­bler celle-ci avec la lec­ture et de par­ta­ger la vie de ces mil­liers de com­pa­gnons qui habitent les livres. Il traite, éga­le­ment, avec l’artiste, des dif­fi­cul­tés de vivre de son art.
L’univers pro­posé par Guillaume Sorel est truffé de réfé­rences poé­tiques, lit­té­raires, sociales, celui-ci inté­grant, sans nul doute, une large part de vécu dans sa fic­tion. Son des­sin pré­cis, détaillé, d’une grande élé­gance rehausse son pro­pos. Chaque vignette est un tableau dis­til­lant une his­toire. Dans le micro­cosme qu’il met en scène, il retient nombre de détails, mais “oublie” les antennes de télé­vi­sion dans ses vues des toits. Il nous régale avec des des­sins magni­fiques de chats et de nus, tant mas­cu­lins que fémi­nins.
Le tra­vail pré­cis de mise en scène, de mise en page, les angles de vues, les recherches sur les per­son­nages concourent à en faire un album unique dans son genre, que les Édi­tions Cas­ter­man ont su mettre en valeur par une belle pré­sen­ta­tion. Les cou­leurs remar­quables de la cou­ver­ture font regret­ter que quelques pages, au moins, n’aient pas béné­fi­cié de ce trai­te­ment, bien que le lavis donne un magni­fique rendu.
Hôtel Par­ti­cu­lier est une réus­site de plus à mettre à l’actif d’un auteur aussi talen­tueux que possible.

serge per­raud

Guillaume Sorel (scé­na­rio et des­sins), Hôtel par­ti­cu­lier, Edi­tions Cas­ter­man, mai 2013, cou­ver­ture mate, dos rond, 104 p.- 17,00 €.

 

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Filed under Bande dessinée, Inclassables

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