L’angoisse de la planche blanche !
Jean-Eudes de Cageot-Goujon régnait en maître absolu, presque un dieu, sur la bande dessinée mondiale. Une panne d’inspiration le plonge dans une déprime profonde. C’est la quête qu’il mène pour retrouver L’étoile qui danse, l’idée du siècle, que le créateur décline.
Après L’étoile qui danse (Dargaud — 2019), Ce qui se conçoit bien (Dargaud – 2020), Manu Larcenet propose, avec ce présent titre, un album d’une intensité rare à la fois dans l’humour comme dans l’autodérision, tout en abordant, avec un récit du récit remarquable, nombre de faits sociétaux.
Après une page d’introduction constituée avec l’écriture des anciens Egyptiens, Jean-Eudes veut essayer la contemplation et annonce aux médias, à sa famille, sa nouvelle thérapie pour sortir du gouffre. Puis, il part pour les hauteurs de l’Himalaya, là où se trouvent les meilleurs spécialistes de cette discipline. Il échoue et, revenant, se trouve confronté à son fils devenu un adolescent, un garçon aux abdominaux d’acier alors qu’aucun Cageot-Goujon n’en n’a jamais eu.
Et il poursuit sa quête, la recherche de l’idée qui va lui permettre de revenir au premier plan jusqu’à ce que…
Si le personnage de Manu Larcenet est en panne d’inspiration, ce n’est pas le cas de son créateur. Il propose, pour clôre sa trilogie, un album d’anthologie, avec les affres de son alter ego, un petit bonhomme obèse au gros nez. Il aborde, par exemple, les rapports père-fils, le travail des mères de famille qui, outre l’exercice de leur métier, assurent la gestion du quotidien.
Il ironise sur la mode actuelle de prendre des sujets très mineurs, de les monter en épingles pour en faire un livre, un album. Il joue avec l’ADN, mobilise des philosophes historiques… Et quand il décide de dessiner pour le plaisir, il réalise en noir et blanc une fantastique double page, une planche absolument ahurissante.
Il donne un graphisme époustouflant dans la précision du trait. Les détails fourmillent. Il faut une lecture attentive pour tout voir et apprécier la virtuosité de l’artiste. Il démontre sa capacité à savoir tout dessiner, ce qu’il veut, comme il veut. Il assure des pages qu’un meilleur mangaka ne renierait pas, des tableaux installés dans les meilleurs musées.
Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le cartouche qui ouvre l’album et qui est intitulé Résumé des épisodes précédents. Cela se lit naturellement. Il faut faire attention pour découvrir qu’en fait les lettres sont des hiéroglyphes. Et cela continue tout au long des 56 pages, changeant radicalement de style après quelques planches.
Thérapie de groupe est une trilogie qui s’impose dans toute bédéthèque de qualité, illustrant la puissance créative d’un auteur qui compte dans l’univers de la BD.
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serge perraud
Manu Larcenet, Thérapie de groupe — t.03 : La tristesse durera toujours, Dargaud, août 2022, 56 p. — 16,00 €.