Pourquoi des gens, apparemment ordinaires, passent à l’acte ?
Sandrine Cohen est scénariste et réalisatrice de fictions et de documentaires. Parce qu’elle s’intéresse aux faits divers, elle a réalisé, entre autres, trois documentaires sur des homicides passionnels et familiaux. Elle s’est attachée alors aux mécanismes du passage à l’acte. Le présent roman s’inspire de ces travaux.
Le 6 juin 2018, à Aubervilliers, Rosine donne le bain à ses deux filles, Manon et Chloé, de six et quatre ans. Mais ce soir, Nicolas, avec qui elle vit depuis quelques mois, vient de lui dire qu’il a besoin de réfléchir avant de s’engager plus durablement. Elle lui répond que ce n’est pas grave et noie ses deux filles dans la baignoire.
À Fleury-Mérogis, Clélia veut enter dans la prison. Elle fulmine car le gardien refuse au prétexte qu’elle n’a pas d’autorisation. Pourtant, il y a urgence car Damien, ce gamin de dix-huit ans, condamné à trente ans d’emprisonnement, va se suicider. Et, quand elle arrive, après moult discussions, il s’est pendu.
Isaac, au palais de justice, tente vainement de joindre Clélia. Il sait que les ennuis recommencent car Damien Varennes va sortir de cellule. Mais il veut lui confier le dossier de Rosine Delvaux, cette infanticide que tout le monde dépeint comme une mère aimante, amie admirable. Et Clélia, enquêtrice en personnalité, va se lancer dans une chasse pour comprendre les raisons, les causes, les motifs d’un tel geste. Elle va entrer dans l’intimité de la famille…
La romancière va, avec son héroïne, vouloir comprendre les raisons d’un tel geste. Elle va chercher les outils nécessaires pour fracturer les obstacles et faire réapparaitre ce que le cerveau, le subconscient, l’inconscient ont voulu occulter, cacher, étouffer. Elle va fouiller, bousculer, malmener pour que le déclic se fasse, que ressurgissent ces traumatismes profonds qui expliquent, sans excuser, ces gestes qui se perpétuent de génération en génération.
Deux femmes hantent ce roman noir atypique. D’abord, Clélia Rivoire, au passé que l’on pressent rude, qui s’investit totalement, et le mot est faible, pour comprendre les raisons de tels actes. Elle a un caractère entier. Elle est quasiment ingérable, d’une pugnacité féroce. Agressive quand on lui résiste, elle évolue dans un univers bien difficile entre prisons et tribunaux.
Puis Rosine Delvaux, une mère-poule qui semble bien dans sa vie, dans son univers familial, professionnel et qui devient un monstre comme elle se définit après les noyades. Elle assume son geste, refuse toute assistance, tout avocat, dans une attitude de total abandon.
Elles sont entourées par un groupe de personnages secondaires aux profils particulièrement soignés. Ils participent avec des investissements divers dans cette histoire tels Isaac ce juge d’instruction protecteur de Clélia, Samuel Varda, l’inspecteur chargé de l’enquête. On trouve un juge d’instruction ambitieux, les gardiens et la directrice de la prison, les parents de Rosine, sa mère décédée il y a peu de temps, son père figé dans une attitude hostile vis-à-vis de sa fille…
L’auteure décrit avec réalisme l’univers carcéral, l’atmosphère, le bruit, les odeurs… Elle fait énumérer par une médecin légiste les différentes phases de la noyade.
Sandrine Cohen signe un roman noir, dur, âpre, qui bouscule car la vérité est effroyable. Il reste longtemps présent en mémoire tant il est d’une intensité peu habituelle. En revanche, est-ce qu’une suite est envisagée pour dévoiler les turpitudes de Clélia ?
serge perraud
Sandrine Cohen, Rosine — Une criminelle ordinaire, J’Ai Lu n° 13 588, coll. “Policier”, septembre 2022, 288 p. – 7,60 €.