Genre et performance : Jean Félix — entretien avec l’artiste

Jean Félix , plas­ti­cien, pho­to­graphe, per­for­meur, est né en 1960 à Paris. Il vit dans l’Hérault. Il été formé à l’Ecole Natio­nale Supé­rieure des Métiers d’Art (ENSAAMA) dans la sec­tion Design. S’intéressant à l’altérité et la per­cep­tion de l’autre, il effec­tue un tra­vail sur le regard face à la différence.

Pour déjouer la force de la norme, l’artiste se pare d’artifices, intro­duit dans son image comme dans le regard des spec­ta­teurs des élé­ments per­tur­ba­teurs. Bref, il s’agit de ne jamais répondre à ce que l’autre attend. Et grâce à ses per­for­mances et la pra­tique du tra­ves­tisme, il étu­die les réac­tions pro­vo­quées et récolte du maté­riel pour ses pièces : pho­to­gra­phies, listes de com­men­taires, etc… Une part de son tra­vail consiste à bro­der sur les jupes qu’il arbore les com­men­taires engran­gés. Il a réa­lisé entre autres “Un an en jupe”, durant toute l’année 2019 avec comme pro­to­cole de por­ter une jupe tous les jours. Les 365 pho­tos, peuvent être pré­sen­tée en dia­po­rama et le créa­teur a méta­mor­phosé les com­men­taires et ses réponses en listes, bro­de­ries, blasons.

Sa série “Cages” est une suite d’autoportraits dans des cages sur le thème de l’enfermement, la folie et le monde inté­rieur. Tout chez lui est de l’ordre d’une radi­ca­lité consé­quente. Il ne s’agit pas de jeu mais des expé­riences majeures dans la re-présentation.

Récentes actions per­for­mances : Crash Gal­lery Vil­le­neuve d’Asq : l’exposition “Bizarre” du 7 mai au 30 juin 2022,  o25rjj  à Lou­pian pour la pro­duc­tion d’une FLAC “Genre indé­fini, genre infini” expo­sée du 24 avril au 23 mai 20219.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
See the world before you leave it.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
L’enfant tend vers un idéal, qui ne cesse d’être écorné, amputé par les adultes qui eux ont abdi­qué. Réa­li­sons nos rêves le plus jeune pos­sible. A 18 ans, construc­tion d’un voi­lier de 11 m. et navi­ga­tions autour du monde

A quoi avez-vous renoncé ?
Aux Chimères.

D’où venez-vous ?
Père per­vers gran­diose, mère étouf­fée, milieu bour­geois cha­bro­lien dégor­geant de tor­sions intellectuelles.

Qu’avez-vous reçu en héri­tage ?
Mon héri­tage a été de prendre le contre­pied, d’aimer la modes­tie, la fru­ga­lité, de me mettre à la place de l’autre ce qui a engen­dré mon goût de la performance.

Com­ment définiriez-vous vos espaces cri­tiques?
Par­ta­geant avec les autres humains défauts et qua­li­tés, j’ai peur de me lais­ser débor­der par des défauts enva­his­sants. Éga­le­ment un cer­tain ver­tige, celui du travesti-acteur qui finit par ne plus très bien savoir qui il est : son rôle ou lui-même.

Un petit plai­sir ?
Por­ter, des jupes, me métamorphoser…

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Mon père man­geant la viande de ses enfants dans leurs assiettes.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Vingt Mille Lieues sous les mers”, Nemo (per­sonne) rejeté, par­court le monde.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Jean-Philippe Rameau et “il Prete Rosso”. La méta­mor­phose, l’exagération, l’illusion, l’instabilité qui me carac­té­risent sont des com­po­santes du baroque.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Navi­ga­tion par gros temps” de K. Adlard Coles. La lutte de l’être humain contre l’adversité, une excel­lente école de la navigation.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Au coeur des ténèbres” d’Orson Welles, encore des tempêtes.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir, qui voyez-vous ?
1, Un inconnu, 2, La vie rêvée de Jean-Félix.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Ecrire à mon père vu comme le Com­man­deur dans “Don Giovanni”.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’Océan Paci­fique, son immen­sité, son calme relatif.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Luigi Piran­dello pour “A cha­cun sa vérité” et “Celui  qui fut Mathias Pas­cal”, José Sara­mago qui traite aussi des pro­blé­ma­tiques de l’identité, par exemple dans “Tous les noms” et “l’autre comme moi”. P.P. Paso­lini, films et écrits, Jean Genet, G. Ber­na­nos, A. Jarry, J.L. Verna : creu­ser L’âme humaine. Ste­ven Cohen pour son “Chan­de­lier”, per­for­mance de 2001 en Afrique du Sud.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Rien, absur­dité des fêtes, à mettre en rela­tion avec la phrase de Lacan citée plus bas, je pri­vi­lé­gie plu­tôt les ren­contres sans cadre.

Que défendez-vous ?
Le droit à l’originalité, ce qui est très loin d’être évident, toute dif­fé­rence est stig­ma­ti­sée par la peur de l’autre et de l’inconnu. Je défends éga­le­ment la curio­sité et la créa­tion qui sont peut-être les oppo­sés de la paresse intel­lec­tuelle et donc de l’obscurantisme.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
La base des rela­tions humaines.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?
Empathie.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Qu’aimez-vous? Le théâtre, la per­for­mance, le fan­tas­tique, un déco­rum exu­bé­rant, la fré­quen­ta­tion des femmes pour leurs regards dif­fé­rents sur le monde, pac­ti­ser avec des monstres, en être un moi-même, se confron­ter à la nature.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 17 octobre 2022.

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