Une biographie qui offre une large place aux écritures de Tocqueville
Grand spécialiste de l’œuvre et de la vie d’Alexis de Tocqueville, Jean-Louis Benoît nous livre une biographie magistrale de l’auteur de La démocratie en Amérique. Sobrement titré Tocqueville, cet ouvrage permet à la fois de prendre la mesure de l’importance du « Montesquieu du XIXème siècle » et d’en savoir plus sur sa trajectoire personnelle. Ce qu’il y a de plus saisissant dans le travail de Jean-Louis Benoît reste bien sa façon de lier vie « scientifique » et vie personnelle chez Tocqueville : la seconde permet presque toujours d’éclairer les motivations de la première… Un exemple : Jean-Louis Benoît démontre la très grande importance de la relation intellectuelle et idéologique qui s’est nouée entre Tocqueville et son bisaïeul Malesherbes.
Ainsi, cette biographie appelée à devenir la nouvelle référence – même si le livre pionnier d’André Jardin conserve une place à part – présente tous les épisodes de la vie de Tocqueville en usant de tous les détails connus, mais revient aussi sur ses écrits afin d’en présenter les axes fondamentaux. Point essentiel : Jean-Louis Benoît ne se contente pas d’évoquer les grandes œuvres – De la démocratie en Amérique (1835 et 1840) ou L’Ancien Régime et la Révolution (1856) – puisqu’il analyse aussi des textes moins connus comme les Mémoires sur le paupérisme ou les écrits sur l’Algérie.
Au bout du compte, le tableau est particulièrement complet : l’homme et l’auteur, mais également le politique. Un politique examiné dans toutes ses dimensions : action locale en tant que président du conseil général de La Manche, nationale comme député de Valognes et même internationale – Tocqueville fut brièvement ministre des Affaires étrangères au cours de la 2ème République et dut s’employer à régler une grave crise avec Rome.
Ajoutons que Jean-Louis Benoît corrige de nombreuses erreurs qui se sont malheureusement imposées dans les travaux consacrés à Tocqueville. Il le fait preuves à l’appui. Une des caractéristiques très intéressantes de cette biographie est qu’elle offre une large place aux écritures de Tocqueville, notamment à son abondante correspondance, et publie quelques textes inédits.Vous l’avez compris : nous vous recommandons chaleureusement de lire ce Tocqueville.
eric keslassy
Jean-Louis Benoît, Tocqueville, coll. Tempus, éditions Perrin, 2013, 730 p. - 12,00 euros.
Le livre comprend en outre nombre de textes inédits: cinq lettres d’Hervé de Tocqueville (père d’Alexis) à Marie Mottley, pour rendre possible leur union; textes de l’abbé Le Sueur (le vieux précepteur de Tocqueville), textes tirés des carnets intimes de Marie Mottley, notes manuscrites d’Alexis réagissant à la lecture du texte de Boissy d’Anglas.
J’ai bien sûr apprécié l’excellent travail historique de JLB.
J’ai trouvé que l’interprétation de l’oeuvre souvent excellente manquait cependant d’originalité.
Par exemple, elle ne s’étonne pas du refus du maitre d’utiliser le mot démagogie pour critiquer la démocratie malgré l’emploi qu’en avaient pu faire d’illustres “prédécesseurs” confrontés au même problème comme Cicéron ou Machiavel.
Comment se fait-il que T. n’emploie pas une seule fois ce mot, lui qui avait été témoin de l’ascension politique de Louis-Napoléon ?
Convient-il de donner des droits politiques à des masses ignorantes, émotives, inexpérimentées et, finalement, “femelles” ?
L’ascension d’Hitler au XX° siècle si régulièrement acquise démocratiquement parlant, T. ne pouvait pas la prévoir. Pourtant un Gustave Le Bon, lui, l’a fait à peu près dans “Psychologie des foules”.
Et si Tocqueville s’était réservé la possibilité de le faire en conclusion de l’ensemble de son oeuvre dans le tome 2 de “L’Ancien Régime et la Révolution” ?
Le tome 1 de ce livre semble avoir été fait pour montrer les dangers d’une démocratie politique qui n’est pas construite sur la base d’une démocratie sociale et morale préalables comme ce fut le cas en Amérique et sur la décentralis.
En europe tout s’est passé comme si la pyramide de la démocratie avait été construite à l’envers avec la pointe en bas et la base en haut !
…Et sur la décentralisation administrative qui en est comme la marque de fabrique
Je reproche aussi au livre de JLB de galvauder le mot génocide.
Les génocides des nazis résultent d’un plan concerté du pouvoir central comme celui des Arméniens par les Jeunes Turcs du comité Union et Progrès en 1915 ou des Vendéens par les républicains du comité de salut public en 1794. Les massacres des indiens furent des crimes de guerre mais ils ne résultèrent pas d’un ordre du président Jackson ou d’un autre président.