Ce nouvel artbook consacré à Mathieu Lauffray, tour à tour illustrateur, auteur de bandes dessinées, directeur artistique dans l’animation, concept designer, est paru concomitamment avec le quatrième et dernier volume de sa fabuleuse série Long John Silver (Dargaud), dont il signe le scénario, avec Xavier Dorison, et assure l’intégralité du graphisme.
Axis Mundi s’ouvre sur une préface de Denis Bajram où ce dernier raconte leurs débuts, à M. Lauffray et à lui, , depuis l’école des Arts Décos de Paris, jusqu’à leurs premiers travaux, évoque ce que chacun a appris de l’autre, leurs apports réciproques. Suit un long entretien mené par David Doukhan dans lequel Mathieu Lauffray revient sur les livres et revues qui l’ont fait rêver, qui ont provoqué sa vocation. Il détaille son approche d’un récit, sa façon d’aborder une histoire, de la mettre en scène et en images. Cette interview est illustrée, essentiellement, des peintures, des esquisses inspirées par Lord of The Apes, le premier volet des aventures de Tarzan.
Une part importante de l’ouvrage est consacrée aux trois grandes séries de Bande Dessinée que sont Prophet, Long John Silver et Les Chroniques de Légion avec une multitude d’images, de croquis, d’esquisses, de travaux préparatoires. Des interviews des scénaristes avec lesquels il a travaillé : Xavier Dorison, Fabien Nury, complètent ce volet. Il a fait, également, des incursions dans le jeu vidéo, sur Alone in the Dark, par exemple.
Un chapitre est consacré à l’encrage qui, pour lui, se rapproche de la peinture. Il explicite sa conception de cette phase qui détermine l’ensemble des impératifs narratifs. Il fait découvrir, ainsi, une face cachée du travail de dessinateur, la lente émergence et la mise en place des cadres de narration, car l’image, pour lui, est un élément essentiel dans la BD, pour la compréhension de l’histoire.
Plus de soixante pages sont consacrées à son activité de concept design. Celui-ci consiste à incarner un concept, une idée, une vision, en deux ou trois dimensions à l’aide de dessins, peintures, maquettes… Selon les médias utilisés, l’exercice de ce métier varie, mais : “Il y a toujours une réalité technique de fabrication à envisager, le poids, la résistance des matériaux, le coût, le temps de construction, de modélisation sont à prendre en compte et cette dimension fait autant partie du travail que l’esthétique.” C’est dans cet esprit qu’il intervient sur des productions aussi diverses que celle de l’américain Robert Emmerich 10 000 BC, Le Pacte des Loups de Christophe Gans, Saint-Ange de Pascal Laugier.
Une rubrique “Divers” clôt l’artbook, mais ce n’est pas la moins intéressante. On y découvre nombre d’illustrations inédites ou de diffusion confidentielle. Sont présentées des couvertures de volumes de Star Wars, un Conan le barbare dans l’esprit de Frank Frazetta, des hommages à Enrico Marini, à Guarnido, à Loisel… Tout au long du livre, on retrouve le goût de Mathieu Lauffray pour les terres inconnues, pour les espaces vierges hantés par la démesure des éléments. On découvre des crayonnés d’une puissance évocatrice sans commune mesure avec le traitement habituel des sujets BD, des études d’une beauté stupéfiante, des illustrations remarquables.
Après la lecture de Axis Mundi, le troisième artbook composé pour cet auteur, la vision des albums de Bande Dessinée n’est plus la même. Le regard porté sur les planches que l’on a sous les yeux traque le travail de conception qui a présidé au contenu de chaque vignette. Mais, Attention ! Avec Mathieu Lauffray, c’est l’approche de l’excellence. Se révèle, alors, le gouffre qui sépare l’album d’un véritable créateur avec ceux exécutés à la chaîne par des tâcherons qui n’ont, sans doute, pas la même obsession de la qualité, les mêmes capacités et moyens.
serge perraud
Mathieu Lauffray, Axis Mundi, artbook , CFSL Ink, mars 2013, 242 p. – 35,90 €.