Orlan ou les haricots dans le panier
Dès ses premières expérimentations comme dans les dernières, ORLAN se met en scène pour se réinventer — d’où le choix d’inscrire son nouveau nom d’auto-baptême en majuscule.
Papesse païenne du Body-art, elle ne cesse d’ordonner le désordre et de désordonner l’ordre par le regard qu’elle pose sur le monde comme sur elle-même.
Elle crée et recrée une méthode non-méthode qui rappelle la façon de ramasser les haricots : il y a de belles rangées, l’ordre semble évident mais il faut aller d’un pied à l’autre : des lignes imaginaires se croisent et se recroisent.
Mais, au bout du compte, les haricots sont dans le panier.
Cette cueillette permet d’envisager l’oeuvre dans une perspective de continuité au sein de tensions entre plusieurs modalités esthétiques.
Au regardeur de trouver ses haricots là où Orlan infiltre sa frénésie mais aussi — liesse à part — son ordonnancement pas si utopique qu’on peut le penser.
Une fois les haricots dans le panier, reste à savoir comment le regardeur cueilleur saura les assaisonner. Car les images d’ORLAN sont des pièges vers sa vérité :
“ moi que tu n’auras jamais connue.
J’ai traversé l’exil et l’obscure volonté
De falaises et de corps endormis
Diversement surgissant dans la nuit » .
Cette nuit, Orlan l’éclaire par ses étranges « statues » charnelles où la condition identitaire s’altère et renait selon d’autres critères. Dès ses premières oeuvres aux dernières parfois plus conceptuelles, la simple ombre court à la rescousse d’une lumière. Tout devient un matelas de turbulences.
Voiles de voile, couches pelliculaires jouent de manière diaphane afin de casser le nocturne où la féminité est souvent reléguée.
jean-paul gavard-perret
ORLAN, manifeste ORLAN, Editions Manuelle, Paris, 2022, 192 p.