À la lueur de torches, une femme place un bébé sur une planchette posée sur l’eau. C’est un garçon. Il n’a pas sa place chez les Valkyries. Puis, sous la conduite de Sigrid, la cheffe, la troupe rentre au Thing, un ancien parc d’attractions transformé en forteresse.
Depuis la lisière de la forêt des hommes observent, estimant que ces femmes sont la pire engeance. Elles se croient protégées par leur fort, mais un jour, elles devront payer pour leurs crimes. Sur l’eau, la planchette est vide.
Ishta, enceinte, a mal vécu la cérémonie et veut s’enfuir pour garder son bébé. Elle en parle à Kahina et sa petite sœur Tala qui partagent un lieu de vie. Kahina, qui a vécu à l’extérieur, décrit un enfer.
À l’intérieur de l’enceinte, les récoltes sont mauvaises et Kahina s’oppose à Sigrid quant à la politique à mener pour disposer de ressources nourricières suffisantes. Mais l’Europe de 2077, cinquante ans après le premier conflit nucléaire mondial, a bien changé. Les hommes survivants ont créé le Protectorat, un régime dictatorial affirmant une totale supériorité sur les femmes.
Quand les circonstances amènent Kahina, Tala et Ishta à fuir le Thing, elles se retrouvent dans cet univers…
Pour créer ce monde, les fondements du Protectorat, les scénaristes n’ont pas eu à se creuser la tête bien longtemps. C’est le régime taliban adouci, celui des pays où règne un régime islamiste, où les femmes n’existent pas en tant qu’individu.
Le récit débute avec un groupe de femmes libres subsistant dans une zone retranchée. Cependant, cette “liberté” n’est possible que dans l’obéissance à une cheffe qui n’admet pas la contradiction. Ses décisions, prises en fonction de critères inconnus, doivent être suivies.
Ce qui est extraordinaire avec les communautés humaines, c’est qu’il se trouve toujours un individu, ou un groupe, pour commander les autres et ne souffrir aucune contradiction. Et ce n’est pas parce qu’un peuple échappe à une dictature qu’il est vacciné. La prochaine est toute proche, justifiée toujours par des arguments véreux, fallacieux, voire abjects.
Mais les scénaristes enrichissent de belle manière cette base pour développer des actions fort intéressantes.
Le dessin est signé de Belén Ortega. Elle a déjà collaboré avec Sylvain Runberg pour la trilogie Millenium Saga parue chez Dupuis. Son trait est soutenu, d’une belle élégance et donne des personnages bien campés, des décors tangibles, bien présents dans les vignettes où ils renforcent l’action.
La couleur est l’œuvre d’Amparo Crespo qui, avec des teintes fortes, donne des ambiances de fin du monde, une atmosphère post-apocalyptique. Une bonne partie de l’intrigue se déroulant au crépuscule ou de nuit, elles restituent à merveille cette ambiance sombre, en demi-teintes.
Cette série, qui a déjà été pensé pour la télévision, a été retravaillée pour la bande dessinée. C’est un excellent choix d’en faire une trilogie au vu de ce premier tome.
serge perraud
Sylvain Runberg (scénario), Anna Solveg (scénario), Belén Ortega (dessin) & Amparo Crespo (couleur), Patriarchy – t.01 : Le Châtiment, Éditions Caurette, juin 2022, 64 p. – 14,95 €.