Bernard-Henri Lévy, Les aventures de la vérité

Arnolphe et Pan­truffe : foi­rades esthé­tiques de BHL

Croyant faire feu de son esprit dans Les aven­tures de la vérité, Bernard-Henry Levy tri­cote une série de vignettes (qu’on lui a sans doute pré­pa­rées et qu’il s’est contenté de rewri­ter) pré­cé­dées d’un texte limi­naire. Ce texte res­tera le paran­gon de prin­cipes géné­raux. Il sert de sque­lette à un abîme d’idées courtes. Elles bloquent les néces­saires ornières pour trans­for­mer celles que l’auteur juge cor­rectes en Champs-Elysées au port royal. Le « phi­lo­sophe » croit sai­sir le must de l’art contem­po­rain mais ne fait qu’en rabattre et recueillir ce qu’il y a de plus convenu. Néan­moins, la voix du bon maître pré­tend révé­ler le vrai à nos sottes consciences. Face à une telle sou­ve­rai­neté intel­lec­tuelle dont l’irréductibilité est empreinte de vieilles idées, toute messe est for­cé­ment dite.
On peut néan­moins se deman­der quelle mouche a piqué les des­cen­dants de Maeght pour appe­ler un tel cura­teur afin de fêter le cin­quan­te­naire de la fon­da­tion de Saint Paul de Vence. Adrien Maeght [ndlr : voir le com­men­taire 2 de HH ci-dessous au sujet de l’attribution de ce pré­nom] doit se retour­ner dans sa tombe devant une telle mas­ca­rade. C’est comme si les Edi­tions de Minuit deman­dait à Chris­tine Angot de fêter leur anni­ver­saire. Le phi­lo­sophe pro­pose un concours de cuis­tre­rie agré­menté — nar­cis­sisme d’autocélébration en ban­dou­lière — d’une série d’interviews où l’auteur fait lire des textes phi­lo­so­phiques (Pla­ton, Hegel, Schel­ling, un frag­ment du Tal­mud, etc.) aux artistes en cours : de Marina Abra­mo­vic, Miquel Bar­celó, Ola­fur Elias­son à Anselm Kie­fer, Gérard Garouste, Kehinde Wiley, Mau­ri­zio Cat­te­lan, Zeng Fanzhi, Enrico Cas­tel­lani entre autres. Nulle prise de risques dans de tels choix. De telles sta­tues vivantes qui se veulent sur­plom­bantes ne font que plom­ber l’esprit même atta­ché à la fon­da­tion. Les ana­lyses esthético-philosophiques sont si péri­mées qu’elles feraient pas­ser le lyrisme de Mal­raux (qui inau­gura le lieu) pour une avan­cée a pos­te­riori consi­dé­rable face au néo-hégélianisme de BHL. Pro­cé­dant par ana­lo­gies, ne com­pre­nant jamais le « non savoir » inhé­rent de l’art le « pon­ceur » oublie que celui-là tra­vaille par « régres­sion » et non par sophistication.

Le prin­cipe du pro­pos tient de la houle ver­bale, à savoir du vent. BHL se veut « concep­tuel » : il n’est que consen­suel. Il ne salue de ses onguents de tige de papier que ce qui est reconnu de manière ins­ti­tu­tion­nelle : Jim Dine par exemple. L’esprit même qui pré­sida à la fon­da­tion est donc tota­le­ment occulté par cette com­ponc­tion lour­dingue qui pré­tend éclai­rer le corps-à-corps entre la phi­lo­so­phie et l’art. La cen­taine d’œuvres anciennes et contem­po­raines, issues de col­lec­tions publiques et pri­vées, fran­çaises et inter­na­tio­nales ser­vant de pré­texte à l’Encyclopédiste de notre temps, n’y font rien. Le Dide­rot modèle Ras­ti­gnac des palais trans­forme les ani­maux fluo­res­cents de l’art en ham­bur­ger de viandes aussi dou­teuses que celles de récentes lasagnes.
La logor­rhée à litière esthé­tique tient d’une morale à deux balles. Une fois de plus, le beau et le bien s’y confondent au nom d’une vision morale de l’art. BHL y patauge dans un effon­dre­ment comique du sens. Il croit le ver­rouiller de sa vul­gate. Mais les abs­trac­teurs de quin­tes­sence que furent les grands noms de Maeght (de Matisse à Gia­co­metti, de Miro à Bram van Velde) qui ont tou­ché des lieux incon­nus de l’être, là où il n’existait appa­rem­ment plus d’image pos­sible, se plie­raient de rire face à ce mon­tage his­to­rié et éti­queté. Tous y sent le pon­cif et ce qu’Artaud nom­mait le « ploque moral ». La réflexion n’est que le pré­texte d’un ego dont la cer­ti­tude crasse et abso­lue per­met à son dis­cours de se poursuivre.

jean-paul gavard-perret

Bernard-Henri Lévy, Les aven­tures de la vérité, Gras­set.
Expo­si­tion juin-novembre à la Fon­da­tion Maeght Saint Paul de Vence.

4 Comments

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4 Responses to Bernard-Henri Lévy, Les aventures de la vérité

  1. MARTIN Y

    quel tsu­nami de haine !!! J’en ris à tom­ber par terre !!
    Tant de talent lit­té­raire mis au ser­vice d’une telle rage. Per­met­tez moi un conseil: faites vous offrir plu­sieurs exem­plaires de ce livre:
    1-lacerez le pre­mier à coups de cut­ter, balan­cez le par votre fenêtre
    2-placez le second au milieu d’un immense auto­dafé
    3-enfin déchi­rez une à une les pages du troi­sième pour vous en ser­vir de papier toi­lette
    Vous éprou­ve­rez un immense sou­la­ge­ment, une paix infi­nie, une béa­ti­tude créa­trice qui enfin vous per­met­tra de mettre votre immense talent, votre génie, au ser­vice de l’art contem­po­rain et de la phi­lo­so­phie. Le monde vous en sera recon­nais­sant car il est vrai­ment dur d’avoir rai­son sans pou­voir se faire entendre.….……

  2. HH

    A l’attention de l’auteur :
    une coquille s’est impo­sée dans votre texte : grâce à Dieu, Adrien Maeght est bel et bien de ce monde. En revanche, en effet, son père Aimé et Mal­raux pour­raient bien tous les 2 connaître des souf­frances infer­nales.
    Il est vrai­sem­blable que cette expo­si­tion est la conjonc­tion de la volonté des “héri­tiers” (pour reprendre votre mot; donc Adrien Maeght et sa demi soeur Syl­vie Eon), du nou­veau direc­teur de la Fon­da­tion — ancien direc­teur du Palais de Tokyo, du temps des cam­brio­lages, sauf erreur -, et du clan entou­rant le patriarche : son conseil Dar­rois, son épouse Rheims — et donc la belle-soeur auteur de cet exer­cice de “self admi­ra­tion” publié il y a quelques jours dans l’hebdo Le Point (bref, un coup de brosse à reluire entre gens s’entraidant) -, Pinault qui semble avoir besoin de Lévy (pour­quoi diable ?) et Lévy lui-même.
    A côté de ce suc­cès annoncé, mais en rup­ture com­plète avec l’esprit, le souffle et l’action de la Fon­da­tion main­te­nant “old fashion”, la gale­rie Maeght de Bar­ce­lone a fermé ses portes; pour des rai­sons peut-être peu relui­santes si le visi­teur de l’an passé se sou­vient de l’affiche long­temps scot­chée sur la porte d’entrée close : “en grève; per­son­nel non payé” (photo dis­po­nible). Or Bar­ce­lone n’est-elle pas le ber­ceau de l’art contem­po­rain porté jadis porté par Aimé et Mar­gue­rite Maeght ?
    J’apprécie le lieu de la Fon­da­tion et, her­mé­tique à l’art contem­po­rain, j’ai réussi à croire que je pou­vais être sen­sible aux “créa­tions” des modernes. Je recon­nais que les jar­dins de Saint Paul de Vence, à la belle sai­son, aident à avoir un regard curieux. Mais avec l’estampille Lévy, je me l’avoue : il m’est impos­sible cet été d’y aller traî­ner mes savates sur le gra­vier des allées du musée.

    • admin

      Merci à vous pour ces pré­ci­sions et cette heu­reuse rec­ti­fi­ca­tion : nous lais­sons l’erreur concer­nant la famille Maeght (en nous en excu­sant auprès d’elle) dans l’article concerné afin d’honorer votre com­men­taire … lequel nous rap­pelle que la vérité est assez peu sou­vent là où on l’attend !
      lit­té­rai­re­ment vôtre,
      La rédac­tion du Litteraire.com

  3. jean-pierre estrampes

    Ce qui sur­prend ce sont les com­men­taires élo­gieux sans aucune réserve pour cette expo­si­tion dans la presse, Le Figaro le Monde, Libé, la presse maga­zine. .. Votre cri­tique est per­ti­nente et salu­taire. J’ajouterais que la “thèse” cen­trale de BHL l’indépendance de l’art par rap­port aux socié­tés, est une inep­tie qui lui auto­rise les rap­pro­che­ments les plus incon­grus en sup­pri­mant tout juge­ment cri­tique, toute hié­rar­chie. Les oeuvres artis­tiques sont les sup­ports / lan­gage, por­teur de la sym­bo­lique d’une civi­li­sa­tion, d’un peuple. Les dif­fé­rentes formes, la hié­rar­chie des expres­sions artis­tiques sont struc­tu­rel­le­ment liées aux socié­tés, à leur orga­ni­sa­tion à leur mobi­lité à leur rap­port au ter­ri­toire. Les rap­pro­che­ments que fai­sait Mal­raux étaient assez per­ti­nents, même si ce der­nier était plus un intui­tif exalté qu’un décrip­teur ana­ly­tique. Les choix de BHL (deux ans de tra­vail !) c’est du niveau des bobos qui meublent leurs appar­te­ments avec des meubles et objets viel­lots chi­nés aux puces, en mélan­geant, quelle audace, des meubles dit design, j’adooore mélan­ger l’ancien et le moderne…
    As t’on attendu BHL pour décou­vrir l’universel de l’homme dans son rap­port au sym­bo­lique , lan­gage et art, aux sen­ti­ments , à l’émotion , à la morale ?

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