Celle qui ne se lève pas le matin — entretien avec Emmanuelle Jude (Un après-midi à Collioure)

Venant du Val de Loire, lors de son immer­sion au bord de la Médi­ter­ra­née, Emma­nuelle Jude éprouve le besoin d’offrir gra­phi­que­ment ce qu’elle découvre et res­sent. “C’est une stra­té­gie de sur­vie, un des seuls moyens de prendre greffe” disait-elle.
L’influence des maîtres fla­mands est per­cep­tible dans son oeuvre. Certes, dans un pre­mier temps, la nature sera son modèle, “ses car­nets de cro­quis prennent l’allure d’un inven­taire pour col­lec­tion de musées. Telle une bio­lo­giste des­si­nant ses planches d’anatomie, elle exerce son regard afin de réper­to­rier insectes, rei­nettes, sar­dines” écrit à son sujet Audrey Quintane.

Mais peu à peu elle s’affranchit de ce qu’elle a appris à voir et faire. Elle invente un monde inédit et sou­vent drôle et cor­ro­sif par sa manière d’aborder le monde des formes et des cou­leurs. Existe dans son tra­vail un souci de l’impeccabilité qui double l’ironie du regard.
L’artiste ne cesse de rap­pe­ler qu’ “il n’y a pas de mau­vais sujet en pein­ture”. Et il n’est pas jusqu’à la figure de la vacan­cière ou du vacan­cier de désha­biller tout un sys­tème de représentation.

Dans un exer­cice de len­teur, Emma­nuelle Jude peint l’urgence qui échappe à beau­coup et ce, dans une oeuvre de ter­ri­toire qui reven­dique la “pein­ture pein­ture” contre les concep­tua­lismes. Le tout entre cer­ti­tude et éton­ne­ment, errance et enracinement.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je ne me lève pas le matin

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils sont encore un for­mi­dable moteur pour m’aider à m’ouvrir au monde.

A quoi avez-vous renoncé ?
A être une pia­niste ou une cavalière.

D’où venez-vous ?
De la terre, j’adore la vision déca­lée de « Né.e.s de la terre. Un nou­veau Mythe pour les ter­restres » d’Emilie Hache.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
L’amour de la musique, la faci­lité à aimer la dif­fé­rence chez les autres.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Prendre un thé vers 18 h.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Je ne cours pas, je n’ai aucune ambi­tion carriériste.

Com­ment définiriez-vous votre approche du por­trait en action ?
Je cherche à être la plus proche pos­sible d’une iden­tité. Celle-ci doit rejoindre mon décor théâ­tral. Ou comme on dit en art mon propos

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une toile d’un artiste dont je ne connais pas le nom et qui était chez des amis de mes parents. Un grand tableau repré­sen­tant un mili­taire ayant pour médailles des pins Coca-Cola

Et votre pre­mière lec­ture ?
Je ne m’en sou­viens pas.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute de la musique orien­tale lorsque je peins, j’écoute le soir l’interprétation de cer­tains musi­ciens que j’adore : Per­ahia dans Bach, Paul Lewis dans Bee­tho­ven, Fran­çois San­son dans Cho­pin…
J’aime par des­sous tous les musiques de films comme « L’amant » de Gabriel Yared

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je n’aime pas relire un livre, par contre, je reprends sou­vent des pas­sages que j’ai entou­rés, en ce moment c’est « Manière d’être vivant » de Bap­tiste Mori­zot et « La plage » de Jean Viard

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Le vieux fusil” de Fran­çois Rou­baix, j’avais 6 ou 7 ans

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme qui res­semble à son père.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Au Père Noël.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Ouez­zane et Port-Vendres

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Je me sens proche de Vincent Biou­lès parce qu’il trace son che­min quitte à déplaire, je le trouve imper­ti­nent et tel­le­ment avant-gardiste…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un des­sin ou un tableau d’un artiste que j’aime beaucoup.

Que défendez-vous ?
Le choix d’être différent

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est trop com­pli­qué pour moi, Lacan.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?” 
La réponse est non, cela ne m’intéresse pas, ce n’est pas moi.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Après Z, il y a ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 24 mars 2022.

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