Pour le plus grand plaisir des amateurs de l’humour anglais, les éditions 10/18 proposent de nouvelles traductions (et de toniques 1ères de couverture réactualisées) des désopilantes mésaventures du gentleman oisif Bertram Wooster et de son fidèle, conservateur et philosophe valet de chambre Jeeves, sous la plume alerte du maître du genre : P.G. Wodehouse.
Chaque récit suit une trame vaudevillesque qui est toujours la même : le sieur Wooster qui ne sait rien faire de ses mains, aime les tenues vestimentaires flamboyantes et vit des largesses de ses tantes (notamment sa récurrente Tante Dahlia) et son patrimoine se trouve à chaque fois dans la panade car il doit régler un problème d’ordre relationnel ou sentimental.
Comme il n’y parvient pas tout seul, voire complique encore plus la situation initiale, son valet de chambre Jeeves, le « gentleman personnel du gentleman », intervient alors à profit pour trouver la solution adéquate, non sans paraître plus perspicace et stratège que son maître !
Ainsi dans Gardez le Sourire, Jeeves !, Bertie doit-il veiller à ce que les fiançailles entre la fille de Sir Watkyn Bassett (grand collectionneur et ennemi de l’oncle de Bertie) et son ami Gussie Fink-Nottle aillent à leur terme. Mais les relations entre tous les protagonistes habituels (et même le chien de service, le terrier d’Aberdeen Bartholomew !) vont rapidement se compliquer à Totleigh Towers, la résidence des Bassett, et rendre la mission de départ quasi impossible.
Dans Pas de pitié pour les neveux, P.G Wodehouse met en scène un Bertie qui cette fois-ci se voit contraint par le médecin d’aller se reposer à la campagne. Locataire d’une maison appartenant à un éleveur de chevaux, Bertram se retrouve hélas ! assez rapidement au cœur d’une rivalité entre son propriétaire et Monsieur Cook, dont les chevaux doivent se mesurer lors d’une très prochaine course. Et assailli par Vanessa Cook, une ex-fiancée pour le moins entreprenante. Une intenable situation qui repose, sans compter sur le major Plank, ancien explorateur et amateur de rugby obsessionnel, sur un autre animal en son centre, un chat objet de toutes les tractations et tribulations de l’histoire – échevelée, of course.
Si l’objet de la narration n’est jamais extraordinaire chez P.G. Wodehouse, en revanche le ton et la tournure des phrases du héros, sa posture en permanence entre frivolité, pusillanimité constituent un véritable régal. Bertie n’a en effet tout du long qu’un leitmotiv en tête : maintenir ses mœurs de célibataire endurci et honorer chaque fois que faire se peut la succulente cuisine du chef français Anatole qui sévit aux fourneaux chez sa tante Dahlia.
Tout le reste, entre cocasserie et loufoquerie, n’est que ruptures et réconciliations, renversements abrupts de situations et retour à la normale.
Les moments les plus savoureux selon nous sont ceux, très réguliers, où l’égocentrique Wooster s’hypostasie à la troisième personne (du singulier ou du pluriel) et fait mine, lui dont la mémoire flanche volontiers, de chercher le sens d’un mot, d’une expression ou d’une citation – souvent latine (voir le titre de notre chronique) — qu’il emprunte au fort cultivé et non moins flegmatique Jeeves, lequel, grand apôtre de « la psychologie de l’individu » et amateur des grands classiques, lui répond en féru de Spinoza, de Shakespeare ou de Keats.
On pourrait reprocher au romancier la structure systématique de ces récits et son comique de répétition un rien kitsch ou old school, mais pour les amateurs des péripéties de Bertie and Jeeves (pour être plus précis, Jeeves and Wooster est une série télévisée humoristique britannique en 23 épisodes de 55 minutes, créée par Clive Exton d’après les personnages de P.G. Wodehouse et diffusée entre le 22 avril 1990 et le 20 juin 1993 sur ITV1) dont nous sommes, chaque opus, surtout par ces temps de sinistrose, est tout simplement une pure réjouissance.
A consommer, telle la cuisine d’Anatole, sans modération aucune donc.
frederic grolleau
P.G. Wodehouse,
- Gardez le Sourire, Jeeves !, traduit par Anne-Marie Bouloch, 10/18, septembre 2002, 190 p. — 7,10 €.
- Pas de pitié pour les neveux, traduit par Claude Alengry, 10/18, mars 2022, 256 p. — 7,60 €.