Pat Barker, Le silence des vaincues

Une réécri­ture fémi­nine de la guerre de Troie

C’est L’Iliade racon­tée par des femmes, des femmes de toutes condi­tions, d’une reine qui se retrouve objet sexuel, objet d’exhibition.

Briséis, l’épouse du roi Mynès, assiste au mas­sacre de l’armée défen­dant Lyr­nes­sos, la capi­tale de son royaume. Après la prise de la ville par Achille qui a tué son mari et ses trois frères parmi les soixante cadavres qu’il reven­dique, elle lui est attri­buée comme tro­phée. Elle rejoint, en com­pa­gnie des autres femmes sur­vi­vantes, le cam­pe­ment grec. Du sta­tut de reine, elle passe à celui d’esclave sexuel et domes­tique et habite dans une cabane.
Elle est obli­gée de par­ta­ger sa couche, mais se satis­fait d’une situa­tion qui n’est pas si hor­rible, celui-ci ne la mal­trai­tant pas outre mesure. Aussi, c’est le choc lorsqu’Agamemnon, vio­lant toutes les règles tacites d’une armée grecque, la réclame pour en faire son trophée.

Le récit débute quelques mois avant celui de L’Iliade. La guerre de Troie est enga­gée depuis neuf ans mais, à tra­vers le récit d’une Bri­séis tenue loin des com­bats, on ne per­çoit que les bribes qu’elle-même peut avoir. Elle raconte avec détail la vie qui est deve­nue la sienne, l’impuissance de ces femmes pri­son­nières, la réa­lité et la cruauté de la guerre…
Elle étu­die le divin Achille, le décri­vant comme dif­fé­rent du guer­rier. Elle observe ce qui l’entoure, ceux qu’elle côtoie et livre des por­traits éton­nants des héros d’Homère. Patrocle est plus atten­tionné que dans d’autres récits, mais dresse d’Agamemnon une image acca­blante, celle d’un lâche sans dignité ni hon­neur ni respect.

Si la pre­mière des trois par­ties du livre est racon­tée à la pre­mière per­sonne par Bri­séis, dans la deuxième on retrouve des cha­pitres consa­crés aux héros, la nar­ra­trice pas­sant au second plan et à la troi­sième per­sonne du sin­gu­lier. On a alors une his­toire plus clas­sique, au contenu proche de celui des poètes et écri­vains de cette époque avec un point de vue plus cen­tré sur Achille. Heu­reu­se­ment, elle revient dans la troi­sième par­tie.
On peut tou­te­fois s’étonner des ana­chro­nismes que Pat Bar­ker génère, en par­ti­cu­lier sur cer­tains vocables et uni­tés de mesure. Le mètre et ses décli­nai­sons ne seront connus que bien plus tard.

Toute­fois, ce livre pos­sède pour lui des par­ties très nova­trices avec cette idée ori­gi­nale de mettre en pre­mier plan, de faire par­ler enfin les oubliées de la mytho­lo­gie.
Un roman qui, entre réécri­ture et moder­nité, retient l’attention.

serge per­raud

Pat Bar­ker, Le silence des vain­cues (The Silence of the Girls), tra­duit de l’anglais par Laurent Bury, J’ai Lu n° 13 382, coll. “Lit­té­ra­ture étran­gère”, jan­vier 2022, 448 p. – 8,30 €.

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