Benjamin Hoffmann, L’Ile de la Sentinelle

Les apa­trides ou les enne­mis du dehors

Benja­min Hoff­mann est un écri­vain et uni­ver­si­taire fran­çais né le 13 novembre 1985 à Vil­leur­banne. Après le décès bru­tal de son père, il écrit Père et fils (2011, Gal­li­mard puis aux Édi­tions Bas­tin­gage son deuxième roman, Anya Iva­novna). Il obtient ensuite un doc­to­rat de l’université Yale et devient pro­fes­seur à The Ohio State Uni­ver­sity où il enseigne la lit­té­ra­ture fran­çaise d’Ancien Régime et la créa­tion lit­té­raire et est l’auteur de l’essai Les Para­doxes de la pos­té­rité (Minuit, 2019).
En démon­trant l’échec ultime de toute recherche d’immortalité sym­bo­lique par l’entremise de la lit­té­ra­ture, ce livre avance qu’il importe de trou­ver une réponse nou­velle à la ques­tion : “Pour­quoi écrit-on ?”

Ce roman en donne une réponse. Son titre est le nom d’une île à mille kilo­mètres des côtes de l’Inde. Elle abrite le der­nier peuple entiè­re­ment coupé du monde moderne : les Sen­ti­nelles. Leur ori­gine est incon­nue. De même que leur langue et leur spi­ri­tua­lité. Ils repoussent depuis des siècles ceux qui abordent leur île.
Voya­geurs véni­tiens, colons bri­tan­niques, nau­fra­gés chi­nois, bra­con­niers malai­siens, monarques euro­péens ou mis­sion­naires venus des États-Unis y ont laissé des plumes. C’est comme si leur uni­vers était libre et que les autres n’avaient rien à y faire.

Le roman évoque l’histoire de ce peuple de même que celle de Krish et Mar­kus. L’un est anthro­po­logue, mari d’une Amé­ri­caine d’origine indienne ; l’autre est un édi­teur new-yorkais céli­ba­taire et l’héritier d’une for­tune bâtie dans le mar­ché de l’art. Tout les oppose sauf la fas­ci­na­tion pour l’île inter­dite qui les conduit à une sorte de point de non retour dont l’île devient l’abyme et l’apologie.
Emporté par le souffle de l’aventure, le livre devient le récit d’une ami­tié mais aussi du temps qui passe. Sont évo­qués éga­le­ment les rap­ports de classes et l’Amérique contem­po­raine, la des­truc­tion d’un couple, la mon­dia­li­sa­tion et ceux qui tentent de lui échap­per. Le tout dans une opé­ra­tion à la fois ache­vée et inache­vée là où le prin­cipe même de réa­lité devient frag­menté et insai­sis­sable au-delà du cou­rage ou de la lâcheté des enne­mis du dehors.

S’adres­sant en confi­dence au lec­teur, il nous approche de l’île dont Google Maps lui-même est inca­pable de révé­ler les secrets. D’où, à par­tir de cette inter­ro­ga­tion, une suite de déri­va­tions au-delà de ce “lagon tur­quoise et d’abysses bleu marine” et ce, jusqu’à une fin tra­gique pour l’ami du nar­ra­teur.
Entre­temps, bien des zig-zags par­sèment la fic­tion aussi sau­vage et pre­mière que bras­sant à corps perdu les thé­ma­tiques du temps. Hoff­mann y fait preuve d’un talent de conteur exceptionnel.

C’est pour­quoi ce roman débridé et hir­sute garde une belle orga­ni­sa­tion là où le monde et les aven­tures sont tra­ver­sés avec une force nar­ra­tive rare. Elle tient en haleine tout type de lec­teur : qu’il recherche une “sub­stan­ti­fique moelle” ou se laisse por­ter par le vent de l’aventure.

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jean-paul gavard-perret

Ben­ja­min Hoff­mann, L’Ile de la Sen­ti­nelle, Gal­li­mard, coll. Blanche, Paris, 2022, 384 p. - 22,00 €.

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