Les abdications de souverains tendent à devenir la règle dans les monarchies actuelles du fait de l’allongement de la vie. Même la papauté en a fait l’expérience avec Benoît XVI. L’abdication n’est pas en elle-même un phénomène nouveau. On trouve des exemples de rois ayant d’eux-mêmes renoncé au pouvoir depuis la plus haute Antiquité jusqu’à l’époque moderne (Charles Quint, Philippe V d’Espagne).
Pourtant, la France se caractérise par un siècle d’abdications de plusieurs de ses souverains. Abdications qui ressemblent à des déchéances et qui émaillent le XIXe siècle.
Avec son passionnant récit de ces évènements — un récit vivant, enrichi par des souvenirs des contemporains et par des archives inédites –, Charles-Eloi Vial nous fait entrer dans le processus à la fois historique et personnel qui a conduit Napoléon, à deux reprises, puis Charles X et Louis-Philippe Ier, à abdiquer une couronne que leur arrachaient soit la défaite, soit la révolution. Car c’est bien ici que se situe la clé de toute cette instabilité, et pourrions-nous même dire, de cette fragilité politique : la cassure de 1789–1793 qui a brisé la sacralité du pouvoir monarchique.
La souveraineté populaire fait désormais les rois. L’Angleterre avait encore une fois donné l’exemple en chassant Jacques II lors de la Glorieuse Révolution. La France a transformé cette pratique en une habitude qui rendit impossible le maintien d’un régime plus de vingt ans. La désacralisation se poursuivait à chaque échéance. « La fidélité, nous dit l’auteur, n’allait plus forcément à une famille mais à des idées. »
Dans sa lumineuse conclusion, Charles-Eloi Vial met en lumière un apparent paradoxe. Les monarchies européennes sont aujourd’hui solides et aucun souverain ne risque d’être chassé de son trône. Ce qui n’est pas le cas des républiques où le « peuple », incarnée dans l’opinion publique, peut congédier sans ménagement, et dans des conditions parfois aussi pitoyables que les rois d’autrefois, un président indigne à ses yeux.
La révolution ne dévore-t-elle pas toujours ses enfants ? Ce que le « peuple » a fait, il peut le défaire. C’est ce qui rend les abdications du XIXe siècle si particulière : elles furent bien des déchéances personnelles. Charles-Eloi Vial le démontre avec brio.
frederic le moal
Charles-Eloi Vial, Le siècle des chutes. Abdications et déchéances en France, 1814–1870, Perrin, décembre 2021, 430 p. — 24,00 €.