Charles-Eloi Vial, Le siècle des chutes. Abdications et déchéances en France, 1814–1870

Les rois s’en vont

Les abdi­ca­tions de sou­ve­rains tendent à deve­nir la règle dans les monar­chies actuelles du fait de l’allongement de la vie. Même la papauté en a fait l’expérience avec Benoît XVI. L’abdication n’est pas en elle-même un phé­no­mène nou­veau. On trouve des exemples de rois ayant d’eux-mêmes renoncé au pou­voir depuis la plus haute Anti­quité jusqu’à l’époque moderne (Charles Quint, Phi­lippe V d’Espagne).
Pour­tant, la France se carac­té­rise par un siècle d’abdications de plu­sieurs de ses sou­ve­rains. Abdi­ca­tions qui res­semblent à des déchéances et qui émaillent le XIXe siècle.

Avec son pas­sion­nant récit de ces évè­ne­ments — un récit vivant, enri­chi par des sou­ve­nirs des contem­po­rains et par des archives inédites –, Charles-Eloi Vial nous fait entrer dans le pro­ces­sus à la fois his­to­rique et per­son­nel qui a conduit Napo­léon, à deux reprises, puis Charles X et Louis-Philippe Ier, à abdi­quer une cou­ronne que leur arra­chaient soit la défaite, soit la révo­lu­tion. Car c’est bien ici que se situe la clé de toute cette insta­bi­lité, et pourrions-nous même dire, de cette fra­gi­lité poli­tique : la cas­sure de 1789–1793 qui a brisé la sacra­lité du pou­voir monar­chique.
La sou­ve­rai­neté popu­laire fait désor­mais les rois. L’Angleterre avait encore une fois donné l’exemple en chas­sant Jacques II lors de la Glo­rieuse Révo­lu­tion. La France a trans­formé cette pra­tique en une habi­tude qui ren­dit impos­sible le main­tien d’un régime plus de vingt ans. La désa­cra­li­sa­tion se pour­sui­vait à chaque échéance. « La fidé­lité, nous dit l’auteur, n’allait plus for­cé­ment à une famille mais à des idées. »

Dans sa lumi­neuse conclu­sion, Charles-Eloi Vial met en lumière un appa­rent para­doxe. Les monar­chies euro­péennes sont aujourd’hui solides et aucun sou­ve­rain ne risque d’être chassé de son trône. Ce qui n’est pas le cas des répu­bliques où le « peuple », incar­née dans l’opinion publique, peut congé­dier sans ména­ge­ment, et dans des condi­tions par­fois aussi pitoyables que les rois d’autrefois, un pré­sident indigne à ses yeux.
La révo­lu­tion ne dévore-t-elle pas tou­jours ses enfants ? Ce que le « peuple » a fait, il peut le défaire. C’est ce qui rend les abdi­ca­tions du XIXe siècle si par­ti­cu­lière : elles furent bien des déchéances per­son­nelles. Charles-Eloi Vial le démontre avec brio.

fre­de­ric le moal

Charles-Eloi Vial, Le siècle des chutes. Abdi­ca­tions et déchéances en France, 1814–1870, Per­rin, décembre 2021, 430 p. — 24,00 €.

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