Il y a une seule Vendée par l’âme. La réalité de l’âme a constitué la Vendée (Louis Chaigne)
Une somme sur la poésie vendéenne, à la fois historique et anthologique, telle se présente ce livre.
En quatrième de couverture, Gilles Bély, Président de la Société des Ecrivains de Vendée, affirme, après avoir évoqué la Vendée comme terre de poètes, l’importance de la nature, de l’histoire et du caractère, que les poètes n’ont cessé de dire « une âme vendéenne », familière du labeur et de la fête, inclinant au mystère.
Dans la préface, Louis Dubost, après s’être défini, avec habileté rhétorique, « doublement vendéen » bien que non vendéen d’origine, souligne que la Vendée, en tant que département, est une création administrative de la République, « un artifice sans état d’âme », qui unit plaine et bocage, marais et côte océanique (1). Si elle existe, l’âme vendéenne serait construite et plurielle.
Le reste de la préface qui adopte un point de vue différent, sinon opposé, de celui de la quatrième de couverture, évoque des généralités sur la langue poétique et met en exergue James Sacré, pour s’achever par la mise en valeur de l’auteur de cette anthologie, en exprimant simplement le regret que n’y figurent pas davantage de femmes poètes (2).
Dans son avant-propos, Alain Perrocheau distingue les poètes devenus romanciers de ceux qui n’ont atteint leur grandeur que dans la poésie. Son étude historique aurait achevé de le convaincre que « la poésie vendéenne était le reflet de l’âme vendéenne ». Comme éléments de cette âme se trouvent évoquées les « valeurs du terroir », la fidélité. Il remarque à juste titre que la modernité n’est apparue que tardivement dans la poésie vendéenne, au milieu du XXe siècle. Mais cette situation est-elle très différente de la poésie des autres territoires ?
En parfaite conformité avec son préfacier, le seul poète vendéen cité et magnifié dans cet avant-propos est James Sacré. Mais le lecteur qui, à côté des critères importants de l’originalité et de la maîtrise du langage, accorde aussi de l’importance à ce que le sens des poèmes, s’il en est un, le rejoigne dans son histoire, restera libre de ne pas partager ce point de vue exclusif.
L’auteur précise que son but a été de « situer les poètes et leurs écrits dans les contextes socio-historiques qu’ils ont vécus. » But tout à fait louable mais trop partiellement suivi d’effet. L’avant-propos s’achève par une conclusion hédoniste ─ « le plaisir en matière de poésie devant toujours exister d’abord, avant la quête intellectuelle » ─ qui semble paradoxalement se placer aux antipodes des principaux traits de l’âme vendéenne que l’auteur essaie constamment par ailleurs de dégager.
On peut considérer que réduire la poésie au plaisir est considérablement l’appauvrir et souhaiter lui assigner au contraire un rôle de quête comme chez Rimbaud, une quête qui ne serait pas intellectuelle mais aventure, ainsi des Argonautes à la recherche de la Toison d’or.
Structure du livre
Le premier chapitre de cette histoire-anthologie de la poésie en Vendée est consacré à la période allant de la Renaissance au XVIIe siècle. Si la Vendée n’existe que depuis la Révolution comme l’affirme le préfacier, ce premier chapitre ne serait-il pas hors sujet ? En fait, l’auteur identifie pour ces siècles, sans le dire explicitement, la Vendée avec le Bas-Poitou et l’on y découvre le rôle central joué par Fontenay-le-Comte, qui en était alors la capitale, dans l’essor de la poésie. Fontenay, ville humaniste, mère de nombreux poètes humanistes familiers du latin et du grec bien sûr mais aussi parfois de l’hébreu.
On trouve dans cette partie des noms connus comme ceux de Nicolas Rapin ou d’Agrippa d’Aubigné tout en y faisant des découvertes comme celle d’Anne de Rohan dont la poésie touche par sa sincérité (« O beau jardin qui m’a vu naître / Pourquoi me vois-tu mourir ? »). De Jacques Bereau, qualifié de « gentilhomme champêtre », on apprécie le poème contre la guerre civile. Jacques de Billy nous invite à penser à la mort. Parmi les thèmes dominants chez les poètes qui nous sont ici présentés, on notera l’histoire romaine, la vie rustique ; l’Antiquité est le socle de leur culture avec la Bible, et le lyrisme imprègne cette poésie souvent historique.
Certaines notes explicatives n’auraient pas été inutiles pour éclairer des références qui sans cela, pour le lecteur ordinaire, demeurent obscures. En refermant ce chapitre qui fait commencer la poésie en Vendée à la Renaissance, le lecteur pourra se demander pourquoi il n’y aurait eu aucun poète sur ces terres bas-poitevines avant.
Le second chapitre présente un choix de poètes « des Lumières au romantisme ». Si la ville de Fontenay-le-Comte reste encore présente, elle n’occupe plus une position aussi dominante que par le passé dans la poésie vendéenne. La culture antique n’est plus aussi prégnante. L’attachement à la terre natale, la vie rurale, la nature, l’histoire vendéenne, se mêle assez souvent avec lyrisme à l’inspiration religieuse. D’origine noirmoutrine, le poète Edouard Richer se détache par son originalité. L’auteur de Mes pensées et de poèmes épars qui ne sont pas dénués de profondeur rappelle à l’homme la vacuité de ses ambitions : « le flambeau » de qui croit « briller dans l’histoire » s’éteint bien vite.
Lucide sur notre condition, la pensée poétique de Richer invite à n’avoir de sagesse que celle de « l’humanité du cœur ». Au XIXe siècle du romantisme, Charles-Edouard Gallet regrette, à l’instar de Lamartine, que le temps ne puisse s’arrêter (« Beau temps de bonheur et d’ivresse / Que ne peux-tu durer toujours ! ») tandis que Marcel de Brayer « aspire » de tout son être « vers l’inconnu ».
Le troisième chapitre, intitulé « La légende de la Vendée », n’est plus chronologique mais thématique. Avec un tel thème où l’auteur perçoit une composante importante de l’âme de la Vendée, l’unité entre les poètes présentés ne peut en être que plus grande. Outre le chant de l’épopée de ceux que l’on a appelés les Géants, des thèmes chers aux poètes vendéens déjà rencontrés se font jour : l’humanisme, le travail agricole, les paysages locaux, la nature, la religion.
Quant au style, outre la présence significative du lyrisme, se manifeste un réel attachement à la simplicité. Tandis qu’Alfred Giraud définit la poésie comme « la sœur puînée / De la philosophie », Basile Moreau, dans ses Géorgiques vendéennes, invite à être fidèle à la foi de ses pères.
Dans le quatrième chapitre, « Décadents et Humanistes », sont regroupés des poètes très différents et l’unité de l’ensemble est difficile à saisir. Le peintre Gaston Chaissac, dont les poèmes apparaissent fort différents de ce qui se publie en poésie en Vendée à l’époque, voisine avec Cécile Sauvage, mère d’Olivier Messiaen, dont les liens avec la Vendée restent minces mais dont la qualité poétique demeure remarquable : « Croire que tout est bon parce que tout est beau », « Tu rêves et la terre est faite de ton rêve ». Le poète Francis Eon, né à Fontenay-le-Comte, évoque dans son Art poétique « Ce qui reste d’azur dans le poème écrit » tandis qu’Antonine Coullet-Tessier fait preuve d’un lyrisme très retenu : « Je ne pensais à rien, je venais des sentiers / Pleins du travail humain et des senteurs des vignes ».
Deux poètes suscitent l’enthousiasme d’Alain Perrocheau dans ce chapitre : Marcel Chabot qui, né à Paris, n’en célèbre pas moins la Vendée tout en cultivant une veine humaniste et Gilbert Prouteau, attaché à la nature, la terre natale, aux légendes, à l’expression lyrique, qui se trouve qualifié par l’auteur de très vendéen.
Le chapitre suivant, « De l’enfance à l’universel », s’efforce de regrouper des poètes ayant, d’une manière ou d’une autre, accordé une importance particulière à l’enfance. Pierre Menanteau, pour qui « Le poète se tient à la vitre des mots », se montre sensible à la nature tout en cultivant une esthétique de la simplicité. Née à Paris, Clod’Aria a ensuite vécu dès l’enfance en Vendée, à la recherche d’une vérité pleinement humaine, « avec du vent [bâtissant] des poèmes ».
Du Sablais Jacques Charpentreau, qui fut président de la Maison de la Poésie à Paris, on pourra être sensible au sonnet Un inconnu qui dénonce avec talent les tyrans et témoigne avec sincérité de son amitié pour Jacques Salomon avec lequel le poète prenait le métro et qui portait à quatorze ans l’étoile jaune.
Dans le chapitre VI, « Du lyrisme religieux aux poètes philosophes », on rencontre des poètes porteurs de poésies très différentes, voire antinomiques. Leur lien à la philosophie peut être claire ou anecdotique, voire difficilement perceptible. Georges Duret, poète professeur de philosophie, chanoine résistant jusqu’à la mort, personnalité attachante, cherchait avec force dans le crépuscule le commencement de l’aurore. La poésie d’Eusèbe de Brémond d’Ars, défenseur de la littérature catholique, est imprégnée d’un lyrisme qui n’est pas sans profondeur. L’auteur de La Vendée, Louis Chaigne, lui aussi œuvrant pour la renaissance des lettres catholiques, est surtout connu pour ses ouvrages en prose où il excelle, se révélant sans doute ici comme l’un des meilleurs écrivains vendéens.
Pour ce qui est de ses poèmes présentés dans cette anthologie historique, si l’on peut être sensible au sens du mystère qui y affleure souvent, ils ne paraissent pas aussi convaincants que sa prose. Jean Rivière, le poète paysan, chantre des travaux et des jours, tel un Hésiode vendéen, a su conjuguer une grande maîtrise et originalité de la langue avec la profondeur du sens. « Nous avons résolu de vivre heureux sur les terres arables » affirme l’auteur de La vie simple, dont le lyrisme de la terre reste imprégné d’une lumière mystique. Sans doute trouve-t-on avec ce poète l’une des plus belles incarnations de ce que l’on pourrait appeler l’âme vendéenne.
L’écriture de Paul Toublanc conjugue de manière aphoristique poésie et philosophie : « Faire en sorte que chaque aube qui vient soit le prélude d’une journée qui se déroulera comme une victoire de l’être sur le néant. » Louis Dubost, seul auteur de cette anthologie à être présenté deux fois, en tant que poète ici, en tant qu’éditeur à la fin, aurait sans doute mieux trouvé sa place dans le chapitre suivant évoquant des itinéraires singuliers, sa poésie s’éloignant des thèmes les plus fréquents chez les poètes de l’anthologie. Charles d’Estève, qui associe volontiers vers et aphorisme, définit avec finesse le poète comme « ciseleur d’indicible ».
Quant à Bernard Grasset, dont l’auteur de l’anthologie affirme qu’il prolonge la tradition des poètes vendéens en quête d’absolu, ─ serait-il parmi les derniers ? se demandera-t-on au terme de la lecture de cette anthologie – il souligne, dans un sobre lyrisme, que « s’éloigne du gouffre / Celui qui tisse le poème. » Jigmé Thrinlé Gyatso, poète et moine bouddhiste, met en avant « la simplicité silencieuse ».
Le chapitre VII traite donc d’itinéraires qualifiés de « singuliers ». Parmi ceux-ci, deux écrivains qui doivent avant tout leur présence ici à leur notoriété dans le domaine de la prose et qui n’ont cultivé l’art poétique que de manière, sinon accidentelle, du moins marginale. Sans doute n’étaient-ils pas privés de talent en la matière mais ce mode d’expression ne leur a pas paru exprimer leur vrai rapport à l’écriture. Ainsi de Michel Ragon, ainsi d’Yves Viollier. Avec le poète yonnais Jean Bouhier, figure importante de l’Ecole de Rochefort, la poésie, sensible à la nature, la vie, l’amitié, se teinte d’humanisme : « A la porte entrouverte / Un simple ami / Que l’on attend ».
En ce qui concerne James Sacré, Alain Perrocheau, en le présentant, le met au pinacle comme dans son avant-propos. Mais, le lecteur, s’il peut admirer l’originalité du langage, mêlant simplicité et ruptures rythmiques, de celui qui écrit que « Le silence empêche le cœur / De penser au temps, c’est vraiment le silence », reste libre de porter un autre jugement en fonction d’une autre esthétique et d’une autre éthique.
L’avant-dernier chapitre, « La poésie en parlanjhe », est, serait-ce un paradoxe?, le mieux écrit, celui où il y a le moins de fautes. On regrettera que les poèmes figurant dans ce chapitre, ou au moins certains d’entre eux, ne soient pas en bilingue, ce qui les rend inaccessibles pour les personnes extérieures à la Vendée, ou même pour celles qui y vivent mais n’ont pas été imprégnés d’une manière ou d’une autre par la langue poitevine. Curé de campagne, François Gusteau défend cette langue en même temps qu’il défend les pauvres.
Jacques-Laurent Paliau, notaire, juge de paix mais aussi musicien, a su témoigner d’un humanisme généreux. Né à Saint Michel-Mont-Mercure, apôtre d’un humanisme conjuguant simplicité et fierté, Eugène Charier, s’il aimait écrire en patois, n’en connaissait pas moins le grec et le latin, ainsi que plusieurs autres langues. L’attachement au terroir natal est ce qui, le plus souvent, relie les poètes écrivant en poitevin. Chez Michel Gautier, professeur de lettres, la défense de la langue poitevine prendra une dimension intellectuelle, réfléchie.
Le neuvième et dernier chapitre est consacré aux « Mouvements et éditions pour la Poésie en Vendée ». Très longue, une centaine de pages, citant beaucoup de poètes, on ne peut ici qu’en donner une vue synthétique. Se trouve d’abord mis en évidence le rôle de La Revue du Bas-Poitou. Parmi les thèmes évoqués par les poètes qui y furent accueillis, ceux de la légende vendéenne, la nature, la fragilité humaine, l’attachement au passé, le travail de la terre, la foi chrétienne. Quant au style, le lyrisme occupe toujours une place prépondérante. Chez le médecin, passionné de radiologie, Joseph Gaston qui chante « la souvenance chère / De la vieille berceuse aux douceurs de prière », Alain Perrocheau voit incarnée « la tradition des poètes vendéens », entre le XIXe et le XXe siècle, où l’attachement à la religion se mêle à celui pour la Vendée.
Jacques Nanteuil guette « Le reflet bleu de l’infini ». L’auteur situe Paul Fillon, qui dans Le semeur chante « Ce que le sol contient d’espérance et d’amour » et dans Le souvenir se peint rêveur, « heureux d’un songe calme et doux », « au cœur de l’âme vendéenne ». Pour Pierre d’Angles, le « rêve paysan est rempli d’espérance » et le « sang chante l’amour ».
Le passage de La Revue du Bas-Poitou aux éditions du Dé bleu, sans transition, est un peu abrupt. Alain Perrocheau qui, en 2013, affirmait à l’occasion d’un colloque sur la Vendée littéraire que ces éditions avaient « au total, publié relativement peu d’auteurs vendéens », en présente ici sept dont deux femmes et qui pour la plupart, selon les indications données, ont peu publié ailleurs. Parmi ces poètes aux univers et aux langages différents, l’écriture de Jean-Damien Chéné qui s’interroge « Où le sens ? » n’est pas dénuée d’originalité, d’inattendu. D’une manière générale, l’éditeur paraît avoir plus effectué ses choix en fonction de la qualité du langage qu’en fonction de la résonance du sens.
C’est ensuite au tour des éditions Soc et Foc qui ont publié de nombreux Vendéens, dit l’auteur, d’être présentées. A l’origine de cette belle aventure éditoriale, née à La Meilleraie-Tillay, aux environs de Pouzauges, dont la marque distinctive était la réalisation de livres soignés, d’une grande qualité esthétique, associant poètes et illustrateurs et qui devint collective, se trouve Claude Burneau, poète, conteur, trop tôt disparu. Parmi les poètes présentés, Mylène Joubert qui sera la dernière responsable de Soc et Foc, éditions qui se signalent dans le paysage poétique vendéen par un humanisme poétique, sans ambition que celle de rapprocher les hommes à partir de la beauté des mots et des images.
Autre éditeur de poésie en Vendée, Echo Optique, mais de manière bien moins continue. Parmi les poètes publiés, on note de nombreux auteurs vendéens. Pour Régine Albert, « (…) le vent est bleu. Le mystère demeure » tandis que pour le prêtre-poète Thierry Piet « Au secret de nous-mêmes / l’Insaisissable nous saisit ». Chez les poètes rangés par l’auteur dans la catégorie un peu formelle de Poètes publiés chez des éditeurs vendéens différents, on rencontre une belle formule de Lise Lundi-Cassin : « Ecrire apprivoise la mort. »
Suit une évocation de L’Essor poétique où Irène Devaux joua un rôle essentiel. On retrouve la simplicité, le lyrisme, l’humanité. Après une évocation de l’initiative originale de « Poésies nomades » de Rolande Haugmard, Gérard Glameau et Jean-Pierre Majzer, le livre se conclut par une présentation, confiée à la plume d’Yves Viollier, d’Alain Perrocheau qui chemine « jusqu’aux sources de l’être » et son éditeur qui, « entre le faire et l’avoir, cherche […] l’être ».
Les poètes et la Vendée
Après avoir esquissé une synthèse de cette anthologie historique de la poésie vendéenne, il peut être utile de porter un regard plus analytique. Parmi les poètes présentés, on distingue quatre grandes catégories : les poètes qui sont nés, ont vécu et sont morts en Vendée ; les poètes qui sont nés en Vendée, ont vécu ailleurs puis y sont revenus ; les poètes nés en Vendée, y ont vécu quelques années puis se sont définitivement exilés ; des poètes nés ailleurs et qui se sont installés ensuite en Vendée à une date plus ou moins tardive. On le voit, le rapport à la Vendée varie sensiblement. Parmi ces poètes venus d’ailleurs, certains se sont spontanément sentis en harmonie avec ce que l’auteur appelle l’âme vendéenne, d’autres lui sont restés étrangers.
Quand on regarde du côté du milieu social des poètes de l’anthologie, c’est la bourgeoisie qui de loin domine. Les poètes sont souvent fils d’industriels, d’hommes de négoce, de militaires, de médecins, de fonctionnaires. Plus rares sont les poètes issus de la noblesse, rarissimes les poètes appartenant à un milieu d’ouvriers ou d’artisans. On peut lire les vers dans l’anthologie de sept poètes dont l’origine paysanne ou vigneronne est explicitement mentionnée. Même si ce chiffre représente une petite minorité, il n’en est pas moins significatif et pourrait constituer une originalité locale. A l’image de ce qui existe au niveau de la France, les poètes de Vendée sont très majoritairement des enseignants (du professeur d’université à l’instituteur en passant par le professeur de collège ou lycée). Parmi les autres professions exercées par les poètes, on rencontre celles de fonctionnaire ou gravitant autour du livre.
Refrains
Si l’on essayait de dégager les traits les plus saillants de la poésie des auteurs accueillis dans cette histoire de la poésie en Vendée, de la manière la plus objective, nous aurions peut-être là les principaux éléments qui ont constitué l’esprit de ce département qui a des allures de province. Qu’est-ce que cette « couleur vendéenne », ces « vers d’un caractère nettement vendéen » dont nous parle Alain Perrocheau ?
Au niveau géographique, les poètes aiment chanter les paysages vendéens, les terres cerclées de haies, les chemins creux. Comme il y a des vins de terroir, cette poésie apparaît souvent comme une poésie de terroir. « — Bocage de Vendée ! O glorieuse terre / Qui donc fera sentir ton charme et ton mystère ? » s’exclame Emile Grimaud. A l’image d’un département resté longtemps très rural, les poètes célèbrent volontiers la vie paysanne, s’imprègnent de la culture des travailleurs de la terre. Basile Moreau fait ainsi rimer dans ses Géorgiques vendéennes « chant » avec « champ » : « Sois ma muse, ô Vendée ! Inspire-moi des chants, / Dignes de mon pays et du bel art des champs ! » L’attachement à la nature, souvent prégnant chez les poètes présentés, s’inscrit dans le prolongement du goût du pays natal.
Au niveau de l’histoire, la légende vendéenne occupe une place importante dans cette poésie. Les guerres de Vendée irriguent alors des vers qui entendent dans le présent l’écho du passé et prennent le ton de l’épopée. La terre bocaine où fleurissent les genêts est perçue comme une terre de géants. A cette imprégnation de la conscience des poètes par cette histoire tumultueuse, tragique, s’ajoute celle de la religion catholique dont Alain Perrocheau souligne l’importance séculaire dans la vie des hommes de Vendée.
Il note aussi le respect du passé, des ancêtres, le goût des traditions, l’attachement aux racines, aux anciennes valeurs, une forme de nostalgie des contrées natales. Il y a une poésie dolente des soirs d’antan. « Des jours qui ne sont plus » demeurent « les mystères », ainsi que l’écrit Edouard Richer. La fidélité se dévoile comme un trait significatif de l’âme vendéenne.
Si l’on regarde maintenant du côté du style, on est frappé par un art que l’on qualifierait de la simplicité. Le plus souvent les poètes de cette anthologie rejettent le verbiage, l’artifice, le superficiel. Si « La vie est faite de choses simples », comme l’écrit Jean Rivière, le langage poétique qui la traduira devra cultiver la simplicité.
Autre trait stylistique dominant dans les poèmes de cette anthologie : le lyrisme. La nature, l’histoire, les paysages du pays natal ou d’adoption, la vie tout simplement, font souvent naître des poèmes parcourus d’un souffle lyrique. La poésie qui se donne ainsi à découvrir est une poésie qui chante.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous évoquerons pour finir deux traits complémentaires qui apparaissent de manière régulière et significative. Tout d’abord, l’humanité. Les chemins empruntés par les poètes de Vendée mènent souvent à l’homme, leurs vers sont souvent teintés d’humanité, d’une humanité profonde. Il y a une attention simple, juste, à l’humain, un élan de limpidité nourri d’humanité. « Mais je fus, pour autrui, sans rancœur et sans haine… » écrit en un bel alexandrin Jean L’Hiver. Sans doute pour cette poésie vendéenne qui donne toute sa place à l’amour, n’est-il de sagesse que dans un cœur vraiment humain.
Dernier trait important : l’attirance pour le sacré. Le chemin vers l’humain mène au divin. C’est comme si le profane ne s’éclairait que par le sacré, la nature par la surnature. Une voix intérieure, douce, semble conduire le poète au mystère. Soucieux du profane, il l’allie au sacré. Pétrie d’humanité, fervente, la poésie revêt alors la couleur du mystère.
Tels apparaissent les thèmes récurrents de cette Histoire et anthologie de la poésie en Vendée. Si on veut bien y voir les éléments essentiels qui composeraient ce que l’auteur appelle l’âme de la Vendée, force est de reconnaître que l’évolution récente de la poésie dans ce département situé aux marches de l’Anjou, de la Bretagne et du Poitou, influencée par le règne de la sécularisation et du bris de la mémoire qui s’étend sur la société, a conduit à effacer nombre de ces éléments.
L’attachement à la légende vendéenne a disparu, le goût des traditions, du passé, s’est évaporé, l’enracinement dans une histoire, un terroir, se sont étiolés, le sens du sacré s’est retiré. L’entrée de la poésie vendéenne dans un langage moderne, loin des rimes et rythmes anciens, a souvent coïncidé avec une forme d’assimilation de la poésie locale avec la poésie nationale, alors que le lien entre modernité du style et sécularisation du sens est loin d’être structurel et qu’une poésie au langage contemporain peut très bien, tout aussi bien, voire mieux, être une poésie de la mémoire et de l’écoute.
Les poètes de la Vendée ne se distinguent plus aujourd’hui des autres poètes. On peut le déplorer ou s’en réjouir. Quelques rares poètes ont cherché, tout en usant d’un langage moderne, à conserver les traits les plus profonds de l’histoire de la poésie en Vendée mais cette exception aura-t-elle encore des héritiers ? L’histoire de la poésie en Vendée ne ressemblerait-elle pas à l’histoire de l’agonie de ce qui fut au centre de l’inspiration des poètes pendant si longtemps ? L’auteur ne se pose pas cette question mais à la lecture de son livre, il est légitime de se la poser.
De même il défend avec ardeur ce qu’il appelle l’âme vendéenne tout en mettant au pinacle tel ou tel poète, ou éditeur, qui se sent tout à fait étranger à ce que cette notion peut recouvrir. L’âme de la Vendée est-elle une réalité que le temps efface peu à peu, une fiction, une construction partisane, ou un rêve, un possible, une vérité, un horizon ? Une fermeture sur son territoire ou une ouverture à l’inconnu ? Une espérance…
Remarques critiques
* Fautes et erreurs
Tout lecteur attentif ne peut manquer d’être frappé par le grand nombre de fautes et d’erreurs que comporte cette somme historique sur la poésie vendéenne des derniers siècles. Les fautes sont de différentes natures. Il y a des erreurs de ponctuation, des fautes de typographie, des fautes de syntaxe, des fautes stylistiques, des erreurs dans les dates, les noms, les indications biographiques, bibliographiques. Si fautes et erreurs sont les plus nombreuses dans les présentations des poètes, le texte même des poèmes dont la lecture est proposée au lecteur n’en est pas exempt. Les erreurs de ponctuation depuis le guillemet ou le point manquant jusqu’à la virgule au lieu du point sont de l’ordre de la centaine. Régulières sont les fautes de typographie avec notamment des mots scindés en deux par un tiret.
Par indulgence, on fera grâce à l’auteur des oublis d’accents circonflexes. Quant aux fautes de syntaxe, leur nombre avoisine les deux cents. On pourra citer à titre d’exemples ; « et demande joliment si l’on peut-on donner l’un sans l’autre » (p. 54) ; « Michel Ragon qui dit dans de lui dans son Histoire de la littérature prolétarienne » (p. 257) ; « pour écrire comme se reconnaît, pour une quête intime de l’espace et le temps trop confiné de l’humain. » (p. 634)… Page 221, l’auteur parle au sujet de la légende de la Vendée de sa « magnification », mot qui pourrait plus relever du barbarisme que du néologisme.
Fautes de syntaxe et fautes stylistiques finissent par se confondre comme dans « Le texte doit lever et élever et le poème et accède à son noble destin par le jeu du sens et du son. » (p. 615). A propos du style, on pourra regretter un ton parfois trop familier avec des expressions comme « l’œuvre vaut franchement le coup », « plus d’une trentaine s’il vous plaît », « excusez du peu », de même qu’une utilisation souvent trop excessive de la métaphore comme, parmi tant d’autres exemples : « le poète s’y fond avec le ravissement d’un élément cosmique qui refuse de douter » ; « les solitudes errent (…), comme autant d’isolements nocturnes ».
On rencontre aussi des erreurs dommageables sur les noms de poètes. Ainsi l’auteur grec Lucien devient-il l’auteur latin Lucian, François Coppée Fernand Coppée, Eugène Guillevic André Guillevic. On nous parle du « grand Paul Valry ». D’autres erreurs se rencontrent sur les noms propres. Charette est tantôt écrit Charrette comme la charrette tirée par des bœufs, tantôt selon la bonne orthographe qui convient au général vendéen, et l’on rencontre parfois les deux orthographes au sein du même poème, au choix du lecteur. Des erreurs concernent les lieux de naissance ou les titres d’ouvrages attribués à des poètes, des indications relatives à leurs vies.
On note aussi des erreurs dans le domaine de la culture. Ainsi saint Isidore est-il considéré comme un Père grec alors qu’Espagnol, il a toujours été compté comme un Père latin. Le lecteur se demandera, à bon droit, comment Catherine de Bavière dont on nous dit qu’elle est « née en 1850 » a pu mourir « en couches en 1607 », ou encore comment Anne de Rohan a pu naître « en 1854 » de Catherine de Parthenay née en 1554 (p. 77–78). Ou encore comment Emile Grimaud a bien pu « port[er] fièrement jusqu’en juin 1801 » le titre de « chevalier de l’Ordre de Saint-Grégoire le Grand » que lui avait conféré le pape Léon XIII « en 1888 » (p. 197).
On dira que ce sont des coquilles. Certes, mais c’est l’accumulation des coquilles, des fautes de syntaxe, de style, de ponctuation, d’orthographe qui fait qu’il n’y a guère de pages qui en soient exemptes, c’est cette accumulation de fautes, dont par bienveillance nous n’avons cité que de courts exemples, qui jette des ombres sur ce long travail et donne l’impression, que l’on espère fausse, d’une maîtrise insuffisante de la langue française ainsi que du matériau exploité. Dommage, dommage, dommage… Tout cela aurait pu être évité par une relecture lente et soigneuse et par l’aide apportée par un lecteur-correcteur. On pourra s’étonner que l’éditeur, dont on ne peut pas douter qu’il ait lu l’ouvrage, n’en ait pas pris conscience, ni que les écrivains ayant soutenu, à juste titre, le projet n’en aient pas averti amicalement l’auteur.
* Oublis
L’on sait qu’il n’est guère d’anthologie qui ne prête le flanc à une critique concernant des auteurs oubliés. Si Alain Perrocheau connaît très bien la poésie en Vendée et son ouvrage en témoigne, s’il s’efforce de la servir, son action courageuse l’atteste, on s’étonnera de certaines absences inexpliquées, inexplicables. Ainsi de Cathie Barreau, publiée chez des éditeurs de référence, y compris en poésie, et qui, du temps où elle dirigeait la Maison Gueffier à La Roche-sur-Yon, aimait donner la parole aux poètes de Vendée, dans un esprit d’ouverture et une volonté d’exigence. Marie-Geneviève Lavergne, poète, chanteuse, qui fit partie de l’équipe dirigeante de Soc et Foc et publia aussi de la poésie, n’est pas mentionnée, ni dans les pages consacrées à cet éditeur, ni comme poète.
L’auteur de l’histoire anthologique paraît ignorer l’existence de la revue de poésie Mot à maux, implantée à Talmont-Saint-Hilaire et dirigée par Daniel Brochard, poète par ailleurs. En matière de poésie moderne, c’est la seule revue de poésie existant en Vendée et il aurait été juste que cette entreprise courageuse soit évoquée. La revue en ligne Lelitteraire.com, également implantée à Talmont-Saint-Hilaire et dirigée par Frédéric Grolleau, aurait pu être mentionnée dans la mesure où elle accorde, avec un réel souci de qualité, une place constante aux critiques poétiques. Parmi les autres poètes oubliés, on pourra mentionner Jacquy Joguet dont la plume ne manque pas de vertu, ou encore Thierry Jouet, le poète paysan à la voix forte et empreinte d’humanité.
Sans doute n’aurait-il pas été inutile d’user de critères objectifs comme le nombre de recueils publiés, la qualité reconnue des éditeurs, le niveau d’audience des revues dans lesquelles ils ont été publiés, afin d’être le plus complet et le plus juste possible dans le regard porté sur les poètes. Le choix de mettre, de manière subjective, sinon arbitraire, quelques visages de poètes en couverture, parfois porteurs d’une conception de la poésie antinomique, paraît s’opposer d’une part au fil directeur de l’auteur qui cherche à mettre en avant des traits réunissant les poètes de son anthologie et auxquels il donne le nom d’« âme vendéenne », d’autre part à sa louable volonté inlassablement répétée au long du livre de sortir de l’oubli, faire découvrir, des poètes oubliés, méconnus.
Une dernière critique qui, comme les précédentes, n’a d’autre objectif que de dessiner l’espace d’une histoire anthologique plus accomplie. L’auteur manque de recul, de distance. S’il connaît bien la poésie à l’échelon vendéen, il semble la connaître moins, si ce n’est de seconde main, à l’échelon national. Une telle connaissance aurait permis de hiérarchiser, nuancer, fonder certains de ses jugements trop dithyrambiques par manque de distance et de science critique. Quant à la promesse évoquée dans l’avant-propos de relier la poésie à l’histoire, elle n’a été que trop peu suivie d’effets. En mettant davantage en regard l’histoire de la poésie en Vendée avec l’histoire de la poésie à l’échelon national, en les comparant, il aurait été intéressant de voir en quoi elle s’en distinguait et en quoi depuis quelques décennies sa spécificité paraît avoir disparu.
* Un généreux projet
Si notre devoir de critique nous a obligée de pointer, dans un esprit de bienveillance et constructif, tout ce qui dans ce livre l’empêchait de remplir pleinement sa mission, tout ce qui faisait obstacle à l’atteinte de l’objectif qu’il s’était fixé, il n’en faut pas moins reconnaître, par volonté de justice, ce qui donne sens à sa lecture et au fait que l’on puisse passer de nombreuses heures, des jours, des mois à sa découverte et son étude. L’apport le plus significatif de cette anthologie tient avant tout dans l’abondance du matériau qu’il met à la disposition de qui voudrait se pencher sur l’histoire de la poésie en Vendée.
Des pistes sont tracées, des classements proposés, des chemins explorés, de multiples occasions de découvertes d’auteurs oubliés se présentent grâce au travail d’Alain Perrocheau. Il devient possible à partir de là de continuer l’exploration, l’enrichir, la développer, la structurer et de porter de nouveaux regards sur cette histoire. En contrepoint à la mise en valeur de l’important matériau apporté par l’auteur de l’Histoire et anthologie de la poésie en Vendée, il convient aussi de souligner le courage, la ténacité, la générosité, nécessaires pour se lancer dans une telle aventure et la mener à son terme. On évoquera enfin la justesse fréquente des intuitions émanant du commentaire critique de l’auteur à côté de quelques erreurs de vue et de jugement.
En guise de conclusion
Il est temps de conclure ce qui ne devait être qu’une recension que l’on m’avait demandé d’écrire et est devenu, tant le sujet est riche, une étude.
« Il y a une seule Vendée par l’âme. La réalité de l’âme a constitué la Vendée » écrivait Louis Chaigne au début de son livre attachant consacré à la Vendée.
Telle une flamme veillant au seuil du mystère serait l’âme vendéenne. A propos de La Revue du Bas-Poitou, Alain Perrocheau évoquait l’idée de « retrouver l’authenticité d’une âme vendéenne ». Mais quelle est cette authenticité, comment la reconnaître ?
Et si au fond ce qui importait dans l’art des mots, c’était l’authenticité d’une parole poétique. Une poésie qui chante, habitée d’une mémoire, d’une aurore.
L’auteur de l’Histoire et anthologie de la poésie en Vendée, par ses choix de lectures et ses commentaires, apporte des éléments de réponse concernant ce qui a pu caractériser l’art des poètes vendéens pendant ces derniers siècles mais tout ceci n’est-il pas en train de disparaître ou de prendre de nouveaux visages ? Des traces transfigurées par la révolution du temps. Si une nouvelle histoire de la poésie en Vendée paraissait dans deux ou trois siècles, nul ne peut savoir ce qui, des siècles précédents, subsisterait des thèmes qui étaient chers à nombre de poètes vendéens. On peut simplement espérer que vibrent encore des chants pétris d’humanité et hospitaliers à une forme d’invisible.
Pour l’heure, il reste des poètes, des voix poétiques, des chants, qui peuvent encore, pour les plus authentiques, nous toucher aujourd’hui et que la principale vertu de cette Histoire et anthologie de la poésie en Vendée est de sortir de l’oubli et nous permettre de (re)découvrir.
Héléna Duparc
Alain Perrocheau, Histoire et anthologie de la poésie en Vendée, Le Jarosset, 2020, 674 p. - 24,00 €.
notes :
1. Pour ce qui est de la Vendée Militaire, Emile Gabory la définissait de son côté comme la confluence de trois provinces : la Bretagne, l’Anjou, le Poitou, confluence qui aurait laissé ses traces dans l’âme vendéenne.
2. «Et si quelques poètes portent une robe, c’est le plus souvent une soutane…» écrit-il ainsi. En vérité, il y a huit ecclésiastiques, un moine bouddhiste, pour vingt-et-une femmes poètes. L’histoire présentée dans le livre commençant à la Renaissance, il n’était sans doute guère possible à l’auteur, étant donné le petit nombre de femmes poètes avant l’époque contemporaine où elles sont heureusement plus nombreuses, de faire beaucoup plus en la matière.