La prolifération infinie de tous les possibles
Née à Rhodes, en Grèce, en 1939, vivant à Paris puis entre New York et Rome où elle est décédée en 2017, Laura Grisi a passé de longues périodes en Afrique, en Amérique du Sud et en Polynésie.
Cette implication avec des cultures éloignées du monde occidental a profondément marqué ses expériences dans la recherche d’une pensée cosmique.
The Measuring of Time est sa première monographie rétrospective. Elle permet de redécouvrir l’importance de l’artiste italienne qui fit bouger les arts par la singularité de ses approches, surtout dans les deux décennies 1960 et 1970.
De celle qui fut une novatrice, l’ouvrage rassemble une vaste documentation sur les multiples facettes de sa pratique, de sa recherche et de ses voyages.
Outre des essais inédits, ce livre contient la réédition d’un entretien fondamental avec Laura Grisi réalisé par Germano Celant en 1990. Il prouve que, bien que son œuvre ait été, soit restreinte au Pop art italien, soit volontairement ignorée ou effacée, sa créatrice a d’emblée débordé les mouvements en évoluant dans l’art conceptuel, optique, cinétique, minimaliste.
Elle en a produit sa propre synthèse au sein d’un actionnisme : le “voyage”. Il prit chez l’artiste diverses lignes et à travers la multiplicité des médiums. Laura Grisi a donc incarné un sujet féminin apatride qui défie les politiques identitaire, l’univocité de la représentation.
La photographie fut la méthode originale de ses recherches au début des années 1960. Elle passe ensuite aux “peintures variables” avec des panneaux coulissants et des tubes au néon. Puis, elle crée des installations environnementales dynamiques dans lesquelles elle reproduit artificiellement des phénomènes naturels (le brouillard, le vent et la pluie.)
Et ce, avant de parvenir, dans les années 1970 et 1980, à une forme verbale descriptive et à un langage mathématique comme outil conceptuel.
C’est le moyen pour elle d’explorer les mécanismes de la perception et de la connaissance humaines. L’œuvre s’attache à exprimer la prolifération infinie de tous les possibles.
Et au besoin par des contraintes précises, des lacunes paradoxales, des limites linguistiques et sémiotiques qui la rapprochent de tous les groupes expérimentaux de l’époque (Nouveau Roman, Lettrisme, Oulipo).
jean-paul gavard-perret
Laura Grisi, The Measuring of Time, édité par Clément Dirié & Marco Scotini , Editions JRP, Zurich, janvier 2022, 272 p. — 35,00 €.