“Tout homme, toute femme, qui assigne une fin à l’amour, n’aime pas. Tout être humain ou animal qui fixe un but à l’amour, n’aime pas.” écrit Pascal Quignard. Et de conclure un peu plus loin : “Dans l’étreinte Dieu et Je sont morts.“
Du moins, c’est l’idéal car cette richesse est non perdition mais en perdition.
C’est pourquoi les individus s’en protègent. Ils préfèrent n’importe quoi d’autre : un foyer, une maison, un enfant, de l’or, une récompense, la réputation, l’ascendant social, le cheval, la voiture, l’honneur, l’intégrité religieuse, la propreté, la délicatesse de la nourriture, un groupe auquel ils n’appartiennent pas, la mère dans l’homme, le grand-père maternel dans la femme.
Bref, ils recherchent la culture, la virtuosité, le courage, l’expérience, la fierté, le savoir, C’est dire combien ils se trompent. C’est aussi vieux que le monde Et il ne se refait pas.
Apparemment placé sous le signe de divers éclatements, le roman de Pascal Quignard, d’une très grande unité, relève d’un principe analogique remarquable. Certes, l’écrivain transporte constamment son lecteur dans un espace inattendu, non préparé par ce qui précède, mais toujours, l’ici et maintenant de son discours nous ramène vers l’ailleurs et le jadis d’une expérience première.
Sa poétique du déplacement obéit à un même geste de l’esprit, une direction de la pensée dont il a fait sa signature : remonter le temps, rechercher « le perdu », saisir la plénitude à jamais brisée. Il en est ainsi pour tout. La musique et les arts, la lecture et l’écriture, la parole et le silence, les terreurs et les désirs, notre vie dans ses moments essentiels, la naissance, la sexualité et la mort sont soumis à la même méthodologie questionnante, comme autant de parties fondamentales d’une même anthropologie littéraire. Il en va de même pour l’amour.
Sa question chez Quignard ne saurait être légère. Elle est essentielle, première, primitive : l’amour reste à ce titre anachronique. Mais c’est aussi la “vie secrète” pour reprendre un des titres de l’auteur. L’amour est lié au perdu ou à l’origine. C’est le manque suprême. Et une souffrance dont l’origine est une béatitude, une fusion qui se termine en division
Pascal Quignard, l’approche une fois de plus selon sa méthode d’investigation, sa conquête intellectuelle, ses créations lexicales et sa vision de la fiction. Plaçant le sentiment amoureux dans son anthropologie personnelle, l’auteur tient à en souligner la coupure avec les liens communautaires comme avec soi-même.
feuilleter le livre
jean-paul gavard-perret
Pascal Quignard, L’amour la mer, Gallimard, collection Blanche, Paris, publication le 6 janvier 2022, 400 p. — 22,00 €.