Avec ce diptyque, Éric Giacometti se transforme en manager d’une multinationale qui décide de s’intéresser à la nouvelle économie qu’est Internet, le spatial, le luxe, alors que son empire est basé sur le pétrole, les mines, les cargos, tous des domaines très polluants. L’intrigue se déroule selon deux axes, l’un économique avec les nouvelles orientations, les nouveaux défis auxquels sont confrontés les dirigeants et l’autre criminel avec une équipe de tueurs qui veulent s’emparer de documents.
Et ces tueurs n’hésitent pas à s’en prendre à tous ceux qui gênent leur trajectoire, y compris les personnages principaux.
Largo Winch émerge d’un état d’inconscience pour constater qu’il est dans l’espace, dans un engin en compagnie de seuls mannequins.
Walter est poursuivi dans les locaux d’une entreprise. Il peut téléphoner à Iana, la mettant en garde contre un grand danger, avant d’être rattrapé. Enfermé dans une chambre de tests acoustiques, la douleur est telle qu’il livre les informations que ses tortionnaires veulent avoir. Puis, ils le tuent.
Alors qu’il est à Londres, échouant dans sa quête de présence féminine, Simon est appelé pour se rendre en Indonésie. Là, il retrouve Largo et Silky, grimés pour visiter incognito un site d’extraction d’étain. Largo est scandalisé par ce qu’il découvre : pollution, exploitation des enfants, un cloaque à ciel ouvert… Il licencie brutalement le directeur et fait placer les petits travailleurs dans la Fondation pour l’enfance située tout près.
En Californie, Jarod et Demetria Manskind terminent la démonstration d’un engin révolutionnaire pour le vol individuel. Ils forment un couple d’avant-garde, considérant Largo comme un gardien de musée de l’ancienne économie. Or, celui-ci veut se lancer dans de nouvelles stratégies. Il réorganise son équipe. Il est amené à croiser alors la route de ce couple.
Dans l’ombre, des tueurs agissent efficacement avec un but bien mystérieux.
Éric Giacometti développe des arguments économiques fort intéressants autour de la conquête spatiale, ce qui semble être le futur Eldorado des dirigeants de multinationales. La Terre n’est plus suffisamment prometteuse de profits. Mais il décrit, dans ce contexte ce que de tels projets demandent comme investissements, la course aux minerais de pointe pour faire fonctionner ces nouvelles technologies. Le scénariste a pris des avis éclairés pour structurer et donner véracité à son récit avec Jean-François Clervoy, ingénieur, spationaute, avec Robert Carpentier, directeur chez Thalès Alenia Space. Le choix du titre ne doit rien au hasard.
Si l’action constitue le moteur de l’intrigue, les données économiques sont passionnantes et l’humour est très présent avec des réparties percutantes au possible dans les dialogues.
C’est, bien sûr, Philippe Francq qui assure une large part du graphisme avec son dessin inimitable, ses traits légers, cette manière très personnelle de présenter des personnages à la fois de manière très réaliste et quelque peu idéalisée tant ils sont parfaits dans leur physique. Les femmes sont majestueuses et d’une beauté éthérée, et les hommes présentent des silhouettes sportives. Les détails sont précis et c’est toujours un grand plaisir de contempler ses décors.
Ce nouvel opus de la série marque une belle évolution dans la vie du héros avec un scénario tiré au cordeau et toujours aussi brillamment illustré.
serge perraud
Éric Giacometti (scénario), Philippe Francq (dessin et couleurs) & Bertrand Denoulet (couleurs), Largo Winch – t.23 : La Frontière de la nuit, Dupuis, novembre 2021, 48 p. – 14,95 €.