Brendan Simms, Hitler. Le monde sinon rien

Hitler l’anticapitaliste

C’est une véri­table révo­lu­tion coper­ni­cienne qu’opère l’historien bri­tan­nique Bren­dan Simms dans sa bio­gra­phie de Hit­ler, tra­duite par les édi­tions Flam­ma­rion. Notons tout d’abord que l’ouvrage frappe par la den­sité de ses infor­ma­tions, la pré­ci­sion de ses ana­lyses et la richesse des cita­tions du Füh­rer.
Se concen­trant avant tout sur son pro­jet de poli­tique étran­gère, il pro­pose une thèse des plus ori­gi­nales et nous conduit à révi­ser en pro­fon­deur notre vision du des­sein hit­lé­rien. Jugeons-en.

Reje­tant la thèse clas­sique et com­mu­né­ment admise de la haine idéo­lo­gique à l’encontre du judéo-bolchévisme, qui pousse Hit­ler dans son entre­prise de des­truc­tion de l’URSS, du com­mu­nisme et du judaïsme, Simms explique que ce qui, en réa­lité, struc­ture la pen­sée du dic­ta­teur se situe dans son aver­sion pour le capi­ta­lisme anglo-saxon, répul­sion qui consti­tue la matrice de son anti­sé­mi­tisme, Londres et Washing­ton étant per­çues comme sou­mises aux Juifs.
L’obsession hit­lé­rienne se situe selon lui non vers l’URSS mais vers les États-Unis avec les­quels une confron­ta­tion guer­rière à l’échelle pla­né­taire et aux dimen­sions d’anéantissement était inévitable.

Partant de cela, Simms nous livre un por­trait inté­res­sant de Hit­ler, celui d’un adver­saire acharné du capi­ta­lisme et pour lequel le terme « socia­liste » pré­sent dans son idéo­lo­gie n’est pas un vain mot mais bien une convic­tion. Bref, un acti­viste sub­ver­sif pen­chant clai­re­ment à gauche dès les années 1920, convaincu comme l’est le fas­cisme mus­so­li­nien – ce point n’étant pas assez déve­loppé par l’auteur selon moi – que son pays appar­tient au groupe des « dému­nis » exploi­tés par les puis­sances nan­ties et plou­to­cra­tiques aux mains des Juifs.
Cette lutte des classes à l’échelle pla­né­taire relève bien du conflit de civi­li­sa­tion dans un sens révolutionnaire.

C’est dans cette pers­pec­tive que doit se com­prendre la conquête de l’espace vital à l’Est. Selon Simms, loin de vou­loir détruire le régime sovié­tique, Hit­ler vou­lait doter l’Allemagne de toutes les res­sources natu­relles néces­saires à ce com­bat tita­nesque. Bien plus, il s’inspirait de l’histoire amé­ri­caine car, influencé par les thèses géo­po­li­tiques de son temps sur les grands espaces, il com­pa­rait la conquête de l’Est à celle de l’Ouest par les pion­niers amé­ri­cains, les Alle­mands fai­sant subir aux Slaves ce que les Yan­kees avaient infligé aux Indiens.
On arrive là au cœur de la com­plexité de la pen­sée du Füh­rer, lequel éprouve pour les deux puis­sances anglo-saxonnes des sen­ti­ments mêlés de haine pour leur capi­ta­lisme judaïsé et d’admiration pour l’endurance de leur race.

En fin de compte, Hit­ler fait la guerre à l’Est pour mieux affron­ter l’Ouest. Car c’est là, dans ce conflit presque exis­ten­tiel, que se jouera l’histoire du monde telle que le conçoit le maître du Reich. Bar­ba­rossa s’explique, selon Simms, avant tout par la volonté de pri­ver l’Angleterre d’un allié poten­tiel et de s’emparer des richesses ukrai­niennes, la moti­va­tion anti­com­mu­niste étant lar­ge­ment secon­daire.
Pour résu­mer, il fau­drait par­ler de judéo-capitalisme comme matrice de l’hitlérisme.

On l’a com­pris, ce livre puis­sant contre­dit tota­le­ment les thèses d’Ernst Nolte sur la réac­tion intrin­sè­que­ment bol­che­vique que serait le nazisme et le replace dans une dyna­mique révo­lu­tion­naire, anti­ca­pi­ta­liste et anti­li­bé­rale éga­le­ment à l’œuvre chez l’ancien socia­liste devenu fas­ciste Benito Mus­so­lini. En veut-on une autre preuve ? Se pen­chant sur les aspects inté­rieurs de la poli­tique du régime, Simms note non seule­ment l’hostilité anti­ca­tho­lique du dic­ta­teur mais son com­bat contre les pré­ceptes moraux les plus fon­da­men­taux du chris­tia­nisme : le res­pect de la vie des plus faibles comme les han­di­ca­pés on le sait, mais aussi le mariage mono­game fondé sur la fidé­lité contraire à la viri­lité fer­tile de la race des sei­gneurs.
Ceux qui asso­cient le nazisme à un mou­ve­ment tra­di­tio­na­liste de la droite conser­va­trice feraient bien de s’en souvenir.

fre­de­ric le moal

Bren­dan Simms, Hit­ler. Le monde sinon rien, Flam­ma­rion, octobre 2021, 928 p. — 39,00 €.

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