Frédéric Grolleau, “L’homme et l’animal : qui des deux inventa l’autre ?”

Cochon qui s’en dédit

Fré­dé­ric Grol­leau nous livre à la vin­dicte d’un verbe dont on ne sait plus de qui il devient l’auxiliaire. Tou­jours est-il que l’anthropomorphisme en prend un sérieux coup dans l’ « aile » (ce qui veut déjà tout dire). Revi­si­tant le bes­tiaire de la lit­té­ra­ture l’auteur affronte l’indescriptible zoo et la jungle qui la peuplent. Il rap­pelle qu’être ani­mal revient en quelque sorte à perdre l’estime du néant. En consé­quence et même si selon Duras « l’écriture ne sauve pas » la lit­té­ra­ture ani­ma­lière tire d’affaire l’homme.

Kafka de « La Méta­mor­phose » ou Marie Dar­rieus­secq de « Truismes » l’ont bien com­pris. Pen­ser l’homme à tra­vers l’animal — voire pour un auteur se mettre à sa place — revient à conju­rer les effets de la pen­sée. Dans les litières et les fumiers se crée une alti­tude où la rai­son res­pire d’autres fra­grances. C’est pour­quoi Fré­dé­ric Grol­leau demeure en de telles dis­po­si­tions « zoo­lo­giques » à l’égard de la pen­sée et de lit­té­ra­ture. Il sait que la sagesse ne tient pas par les hau­teurs. On ne peut ne pré­tendre à celle-ci sans se les­ter du poids de l’animal.

L’être sans celui-là qui l’habite court un risque incom­men­su­rable Toute pen­sée claire remonte à la bête. Esope et La Fon­taine pour prendre le cas des fabu­listes ont appris com­ment l’animal pré­cise les traits de la propre incer­ti­tude à notre égard et nous pré­ci­pite dans notre auge. Cer­tains auteurs (même celle qui a écrit récem­ment le por­trait d’un homme poli­tique fran­çais mon­dia­le­ment renommé en cochon) illus­trent que le « reste » garde l’épaisseur d’une hallucination.

Grol­leau prouve qu’affiner l’être par l’animal fan­tas­ma­go­rique ou non revient à se livrer à une fina­lité lit­té­raire par­ti­cu­lière. Elle s’associe admi­ra­ble­ment à ce qui nous échappe dans nos fan­tasmes et nos fan­tômes. Car l’animal n’est jamais un pur sym­bole de l’être. A tra­vers lui ce der­nier tra­verse sa propre confu­sion et sa propre obs­cu­rité. C’est donc pour la lit­té­ra­ture une entre­prise déci­sive. Sans sa « viande » (Artaud) l’homme n’est pas. Hors la bête pas de salut, pas de célé­bra­tion. L’être n’attend que la confir­ma­tion de ce miroir.

L’animal reste donc son sem­blable, son frère. Quant à la réponse à la ques­tion posée par Grol­leau on laisse à chaque lec­teur de son livre le soin de la trou­ver. En la cher­chant il ne sera plus au dia­pa­son des concepts lit­té­raires acquis. Chez l’auteur l’hypothèse de la repré­sen­ta­tion du monde passe par une autre loi que la gra­vi­ta­tion du simple esprit. Il ral­lume la convic­tion que se pas­sant de tout bes­tiaire et ne trai­tant l’humain que par lui-même et par sa seule image bien des choses échappent.

Jean-Paul Gavard-Perret

Fré­dé­ric Grol­leau, « L’homme et l’animal : qui des deux inventa l’autre ? », Les Edi­tions du Le Lit­té­raire, Paris, 148 pages, 19,50 E.

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