Jacques Chardonne, Paul Morand, Correspondance, tome III : 1964–1968

La poé­sie ne meurt jamais 

Voici le troi­sième tome d’une cor­res­pon­dance enta­mée en 1949 et ache­vée qua­si­ment vingt ans plus tard à la mort de Jacques Char­donne en Mai 68. Les deux pro­ta­go­nistes assistent à la fin d’un monde qui par de mul­tiples aspects les dépasse mais ils résistent.
Néan­moins, pour Morand, c’est une ami­tié lit­té­raire impor­tante qui se ter­mine tant cette “paire d’anarchistes conser­va­teurs” (Morand) allait de concert.

Ils se font désor­mais obser­va­teurs acides des bou­le­ver­se­ments de l’époque tout en culti­vant la pros­pé­rité de leurs œuvres. S’y retrouvent de près ou de loin des images fortes de l’époque : Beatles, Guerre du Viet­nam, Nou­velle Vague, Jack Kerouac.
Morand y reste “L’Homme pressé” par­tout chez lui : en Espagne, à Londres, en Alle­magne, au “Masque et la plume” comme aux “déjeu­ners Flo­rence Gould”.

Char­donne pour ses der­nières années se voit entouré de jeunes lit­té­ra­teurs qui lui redonnent une jeu­nesse inat­ten­due. Le voici de nou­veau à la mode. Il va peau­fi­ner la lumière de son cré­pus­cule avec Demi-Jour et est tout ragaillardi par une lettre des plus aimables de de Gaulle dont il ne fut pas for­cé­ment l’apôtre.
Les deux com­pères se livrent tou­jours à leur jeu de mas­sacre envers les sta­tues des vivants et des morts du musée lit­té­raire : Coc­teau, Drieu de la Rochelle, Mau­riac, Sartre, Mal­raux, Saint-John Perse et Jou­han­deau sont pas­sés à une mou­li­nette plus ou moins effi­ciente mais de jeunes pre­miers (Le Clé­zio, d’Ormesson) sont adoubés.

Char­donne garde un oeil très cri­tique envers les lit­té­ra­teurs incon­sé­quents et Morand pos­sède un regard super­vi­seur atten­tif plus aux idées qu’à l’écriture. Il voyage dans son passé avec brillance, retrouve son enfance pari­sienne et revi­site Venise. Mais le temps presse. L’épouse de Morand s’affaiblit et bien­tôt Char­donne ne répond plus.
Char­donne reproche encore à Morand sa légè­reté cou­pable en poli­tique, ses erre­ments anti­sé­mites. Mais grâce à lui et à leurs mil­liers de lettres, ils se réunissent en un accord tacite qui pré­lude — pour Morand — à son Jour­nal inutile.

Les deux res­tent enfin et sur­tout d’incomparables sty­listes dont les pos­sibles erre­ments idéo­lo­giques trouvent avec le temps une rémis­sion qui, à quelques excep­tions près, se jus­ti­fient tota­le­ment. Libres de paroles, ils auront contourné en s’épaulant des murailles de non-dits en osant une double voix qui s’est lan­cée sans égards au diable et ses détails.
C’est tout sauf une vul­gate. D’où le charme d’un tel volu­mi­neux échange entre fautes inex­piées, lap­sus des repen­tants et autres dérives là où la poé­sie ne meurt jamais dans le goutte-à-goutte du temps et une conver­sa­tion à distance.

jean-paul gavard-perret

Jacques Char­donne, Paul Morand, Cor­res­pon­dance, tome III : 1964–1968, &dition de Phi­lippe Del­puech et Ber­trand Laca­relle. Anno­ta­tions de Lau­rence Bris­set, Gal­li­mard, col­lec­tion Blanche,  2021, 1184 p. — 48,00 €.

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