Timothé Le Boucher, 47 Cordes — Première partie

Quel visage incar­ner pour se faire aimer ?

En pre­nant comme per­son­nage une méta­morphe, un être capable de modi­fier tota­le­ment son appa­rence phy­sique, Timo­thé Le Bou­cher s’ouvre une voie royale pour com­po­ser une gale­rie de per­son­nages sin­gu­liers et orga­ni­ser autant d’intrigues.
Le méta­morphe se ren­contre sur­tout dans les mytho­lo­gies, Zeus, par exemple, pour ne citer que lui.

Sur un canot à moteur, une jeune femme prend le soleil. Un gar­çon nage et émerge près du bateau. Elle lui fait remar­quer qu’il est sur une plage pri­vée, plonge et lui demande s’il tient à son sac car la marée monte. C’est trop tard. Le gar­çon se lamente car l’ordinateur, qui contient toute sa vie, est trempé. La jeune femme se heurte à un mutisme et fouille dans le sac qui sera, peut-être, plus bavard sur son pro­prié­taire. Elle pro­pose de lui ache­ter un nou­vel ordi­na­teur et, en échange, le gar­çon lui appar­tient jusqu’à minuit. Face à un refus, elle repart.
Alors qu’il ras­semble ses affaires, une ran­don­neuse lui pro­pose une aide qu’il repousse. Alors qu’il sort de la plage une bai­gneuse le suit. Il dit non à une cycliste qui a son pneu crevé.

Quand elle arrive dans une luxueuse mai­son, la fille au vélo est éner­vée. Elle change de corps pre­nant celui d’un gar­çon brun en mar­mon­nant : “Tu fini­ras bien par m’appartenir ma jolie proie…” La proie, c’est Amboise qui vient d’intégrer un orchestre comme har­piste. Il met toute son éner­gie à tenir ce poste. Pour se détendre, il pra­tique l’escalade en salle où il ren­contre Tho­mas. Dans le cours d’une conver­sa­tion, il fait part de ses dif­fi­cul­tés finan­cières devant rache­ter un ordi­na­teur et chan­ger sa vieille harpe.
Pour un job, Tho­mas lui fait connaître une can­ta­trice aussi fan­tasque que célèbre. Il se dis­tingue et elle semble s’intéresser à lui. Devant son pro­blème de harpe, elle lui pro­pose un chal­lenge. Elle rem­pla­cera les 47 cordes de son ins­tru­ment par les meilleures qui existent s’il rem­porte les défis qu’elle va lui impo­ser. Un seul échec et il perd tout.

Pour ce sujet, l’auteur s’est appuyé sur une belle idée. Si la ren­contre entre deux per­sonnes ne débouche pas sur une atti­rance mutuelle, pour­quoi ne pas recom­men­cer en essayant une autre indi­vi­dua­lité ? Et, pour séduire Amboise, l’inconnue va prendre nombre d’identités, déve­lop­per autour de lui une belle série de situa­tions. Cepen­dant, ces pos­si­bi­li­tés de récits, avec un tel pou­voir, gardent une belle cohé­rence, le scé­na­riste fai­sant preuve de rigueur dans l’évolution tant des pro­ta­go­nistes que dans la trame des intrigues.
L’histoire est cen­trée sur la méta­morphe et sur Amboise, un musi­cien de 29 ans, mais ouvre sur des groupes dif­fé­rents liés à l’un ou à l’autre. La méta­morphe est entou­rée d’un trio fort curieux et Amboise, proche de sa sœur, fré­quente quelques membres de l’orchestre. De nom­breuses scènes déve­loppent un cli­mat étrange, inter­pel­lant, très inter­ro­ga­tives quant à leur teneur et à leur finalité.

On retrouve ainsi un cer­tain ques­tion­ne­ment sur les rap­ports entre les indi­vi­dus entre ceux qui sont recru­tés pour un tra­vail et ceux qui com­mandent ce tra­vail. Timo­thé Le Bou­cher livre un scé­na­rio mul­tiple qui sus­cite beau­coup de ques­tions sur la réelle nature de l’héroïne, sur le but final de sa quête, sur la part obs­cure de pro­ta­go­nistes.
On retrouve, dans cette pre­mière par­tie, des thé­ma­tiques qui pré­oc­cupent l’auteur comme l’obsession, l’identité qu’elle soit phy­sique, sexuelle ou psy­chique, la différence…

Le des­sin aux traits légers et élé­gants donne vie à ce thril­ler psy­cho­lo­gique. Les mul­tiples per­son­nages gardent une iden­tité faci­le­ment iden­ti­fiable à la lec­ture. Ce sont eux qui sont mis en valeur dans des décors, eux qui ne s’imposent pas mais qui marquent leur place. Des cro­quis, réa­li­sés par Amboise dans un car­net pré­sentent de façon suc­cincte des scènes qui ne font pas l’objet d’un déve­lop­pe­ment dans l’histoire. Ils recèlent tou­te­fois des don­nées pré­cieuses.
La mise en scène est dyna­mique ser­vie par une mise en page qui semble clas­sique mais qui révèle un tra­vail remar­quable sur la lisi­bi­lité. Il reteint des cou­leurs rela­ti­ve­ment neutres mais effi­caces pour mettre en valeur son dessin.

Cette pre­mière par­tie est par­ti­cu­liè­re­ment sédui­sante par son récit dense, aux dimen­sions psy­chiques fortes, à l’intrigue qui recèle nombre de mys­tères, de nom­breuses sous-intrigues, par un gra­phisme d’une belle tenue.

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serge per­raud

Timo­thé Le Bou­cher (scé­na­rio, des­sin et cou­leurs), 47 Cordes — Pre­mière par­tie, Glé­nat, coll. “1000 Feuilles”, novembre 2021, 384 p. – 25,00 €.

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Filed under Bande dessinée, Beaux livres, Chapeau bas

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