Edouard Louis, Changer : méthode

« Traître-social »

Lentre­prise auto­bio­gra­phique de Rous­seau est une écri­ture rétros­pec­tive, celle de la matu­rité, qui se retourne sur les débuts dans la vie de son auteur. Edouard Louis lui, a choisi de com­men­cer par ses com­men­ce­ments, ceux de son enfance pauvre et dif­fi­cile et ceux d’une œuvre,  sai­sie presque sur le champ.
Dans son der­nier texte, Chan­ger : méthode, il semble pour­suivre à la fois la tra­jec­toire d’un tout jeune ambi­tieux, fas­ciné par l’idée de la célé­brité, du renie­ment impla­cable de son milieu social et fami­lial et un ques­tion­ne­ment sur la dimen­sion morale de sa réus­site per­son­nelle et lit­té­raire.Dans le mot méthode, il y a le grec hodos, la route. Celle que le jeune auteur a emprun­tée de la manière la plus radi­cale : chan­ger ou  davan­tage se chan­ger, endos­ser les habits de la bour­geoi­sie intel­lec­tuelle qui lit, qui fré­quente les mai­sons d’opéra, qui vit dans d’agréables appar­te­ments pari­siens, loin d’un vil­lage miteux, et qui voyage de par le monde.
On pour­rait par­ler de mimé­tisme comme chez les ani­maux, qui s’adaptent à un milieu défini en pre­nant les cou­leurs qui per­mettent de se fondre dans le pay­sage. « En être ».

Il faut chan­ger de nom ; accep­ter un pré­nom, qui lin­guis­ti­que­ment est syno­nyme de celui de l’état civil ori­gi­nel, dans un autre niveau de langue, plus sou­tenu. Alors Eddy, comme dans une mau­vaise série amé­ri­caine, devient Edouard, Edward, tel Bal­la­dur ou Phi­lippe. La mère de l’amie d’adolescence, Elena évoque la royauté (anglaise), à son pro­pos.
Le patro­nyme Bel­le­gueule et quel patro­nyme lit­té­raire incroyable, délaissé pour une autre évo­ca­tion monar­chique fran­çaise ou un tueur en série ! Louis !

Mais  se défaire du nom hon­teux du père ne suf­fit pas. Edouard Louis opère  sa mue sur son  propre corps : la den­ti­tion tor­due comme redres­sée et l’implantation capil­laire redes­si­née sans oublier la voix et la parole tra­vaillée afin de se défaire d’un mau­dit accent nor­diste. Les vilaines pho­tos en noir et blanc peu lisibles illus­trent les méta­mor­phoses du gar­çon,  au fil des pages comme s’il était néces­saire de consti­tuer un album de famille à sa manière.
Il y a dans tout ceci une ingra­ti­tude farouche même si elle est ici confes­sée (suis-je une mau­vaise per­sonne ?) Ingra­ti­tude vis-à vis des siens, de ceux et celles qui ont aidé le gamin pauvre, mal­mené par ses cama­rades, l’humiliant parce qu’à leurs yeux, il n’était qu’un pédé.

Et  s’éloigner de ceux et celles qui le feront pro­fon­dé­ment évo­luer. Ainsi Elena aban­don­née à Amiens quand le jeune, ambi­tieux, décide d’aller vivre à Paris alors que c’est son amie, qui indi­rec­te­ment lui a fait ren­con­trer Didier Eri­bon, son men­tor, son double social. Tra­hir pour réus­sir, réa­li­ser ses rêves d’embourgeoisement.
L’argent revient comme un leit­mo­tiv : il manque atro­ce­ment dans l’enfance et l’adolescence et il est convoité auprès des amants de pas­sage ou de Ludo­vic qui paie l’appartement pari­sien et les pre­miers soins dentaires…

Et  écrire sèche­ment comme l’annonce le titre du livre. Il fau­dra attendre en vérité l’épilogue pour que l’écriture se fasse plus belle, plus sen­sible ;  celle de l’anaphore «  au temps où » pour que le traître à son monde sai­sisse enfin  la ten­dresse cachée der­rière la rudesse, les émo­tions vraies de l’enfance et sans doute toute la vanité des appa­rences sociales de son ascen­sion.
Un der­nier mou­ve­ment de repentir.

marie du crest

Edouard Louis, Chan­ger : méthode, Seuil, 2021, 332 p. — 20,00 €.

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