Une belle mécanique pour un récit de serial killer
Joseph Vaughan se remémore le contexte et les circonstances lorsqu’à douze ans il a découvert le corps mutilé, violé, de son amie Alice, une fillette de onze ans à Augusta Falls en Georgie. Il est traumatisé, se sentant coupable de n’avoir pas su la protéger.
Son père décède. Il reste seul avec sa mère. Les proches voisins sont les Kruger, une famille allemande, pas très bien vue dans ces années où Hitler déclare la guerre à l’Europe. l promet à Elena, leur fillette, d’être toujours là si elle a besoin. Cette culpabilité s’accroît quand le corps dévasté de Laverna est découvert.
C’est son institutrice qui lui suggère de participer à un concours d’écriture car elle a remarqué son don pour raconter des histoires. Mais malgré l’intérêt de son texte, il n’est pas retenu. Les meurtres continuent et Joseph se sent de plus en plus mal. Sa mère, qu’il a surprise avec Gunther Kruger, perd la raison. Il se retrouve seul, vivant de petits boulots.
Le temps passe, les meurtres se succèdent quand, à l’été 1945, il reçoit la visite d’Alexandra Webber, son ex-institutrice. Lorsqu’il était son élève, il lui faisait nombre de confidences. Le trouvant très déprimé, elle l’engage à se confier et… devient sa maîtresse. Ils sont arrêtés parce qu’ils faisaient l’amour dans leur pickup. Mais le hasard veut qu’il soit sur les lieux quand on découvre une nouvelle victime de ce tueur en série insaisissable. Bien que pour les policiers il soit un coupable idéal, sans preuves ils ne peuvent le garder.
Il se marie avec Alexandra, enceinte. Mais le destin funeste veille…
Fabrice Colin, par ailleurs romancier, choisit de ne pas révéler la situation sociale finale du héros/narrateur dès le début. Un récitatif expose un certain nombre de faits et d’événements depuis les douze ans de Joseph. On suit son évolution vers l’âge adulte, la progression de ses obsessions à travers toutes les vicissitudes qu’il subit, l’avancement de sa hantise conjuguant impuissance et culpabilité. Ne va-t-il pas mobiliser quelques camarades adolescents pour former une sorte de milice dont la durée d’existence est très faible, les glorieux membres étant effrayés par la nuit ?
Ce polar comporte nombre d’histoires annexes fortes comme ses rapports avec l’environnement, avec sa mère dont la raison vacille, ses amours tragiques, son traumatisme et cette quête perpétuelle de lutte contre le mal.
L’adaptation de ce polar écrit par R.J. Ellory, publié en 2007 et traduit en 2008 pour les éditions Sonatine, retranscrit avec brio l’intrigue habile, toujours en tension car le tueur se joue de la police et Joseph est emprisonné. Est-il cet assassin introuvable ? Ce scénario livre également un portrait sombre de cette Amérique entre la fin des années 1930 jusqu’en 1960. Avec ses contradictions, son repliement sur elle-même dans les larges zones rurales, sa suprématie blanche, son rejet des émigrés de frache date, sa haine vis-à-vis des noirs dans cet état du Sud, cette Amérique dominée par la religion est tout sauf une démocratie.
La mise en images de Richard Guérineau est irréprochable avec un dessin semi-réaliste, aux traits synthétiques soulignés par des ombrages privilégiant les teintes ocres, jaunes, des couleurs tout à fait conformes à l’atmosphère qui régnait dans cette Georgie. Les décors sont soignés. La mise en scène donne une belle lisibilité.
Une adaptation plus que réussie, les auteurs responsables du scénario et du graphisme insufflant une nouvelle dimension au récit initial pour en faire un album à lire avec avidité.
serge perraud
Fabrice Colin (scénario adapté du roman éponyme de R.J. Ellory) & Richard Guérineau (dessin et couleur), Seul le silence, Philéas, octobre 2021, 104 p. — 18,90 €.