Marcelin Pleynet reste un poète et théoricien qui demeure effacé. Il fut pourtant au coeur de la fin des avant-gardes et aux prémices de la postmodernité.
Même si l’auteur refuserait ce terme à son sujet : cette définition évacue en effet les questions de plus en plus pressantes que pose l’histoire . Cette portion de son journal remet devant ses préoccupations de l’époque, au sein de ses nombreux voyages et conférences et au moment de son “déplacement” des éditions du Seuil aux éditions Gallimard lors de transfert de la revue qu’il dirige “Tel Quel” (et qui fut avec “Change” un des lieux clés de la littérature). Elle devient “L’infini”. Avec toujours le même but : “prouver que la littérature pense plus qu’on ne le croit” (Philippe Sollers).
Se retrouvent les rapports que Pleynet entretient avec l’art, la musique et la littérature modernes (mais pas seulement). Tout son discours critique se fonde sur son expérience du langage poétique. S’élève toujours — mais sans forcer — sa voix face aux pensées et sensibilités normatives.
Il souligne leurs faces antiartistiques (lorsqu’il s’agit d’historiens, d’universitaires) ou douées d’un faible tempérament créatif (du moins chez certains de ceux qui se prétendent artistes ou écrivains).
Marcelin Pleynet ne s’attache qu’au vrai, ne ménage personne sans pour autant se faire pourfendeur d’ “âmes” quelconques à ses yeux. Il sait en effet que chacun peut subir la trahison de la pensée. Et l’auteur de préciser : “Cette pensée m’occupe depuis plusieurs jours. La pensée peut être trahie, la pensée peut trahir, elle peut manquer dans la pensée.“
Et d’ajouter : “la fin de ce XXe siècle m’apparaît comme l’aboutissement, dans les conséquences de l’aboutissement d’une trahison de la pensée. ” C’est pourquoi il passe son temps habité par l’exigence d’un accord profond entre sa pensée et sa manifestation.
C’est pourquoi aussi il prend toujours de l’altitude tant face aux êtres qu’au paysages (il les décrit avec une délicate transparence tant il reste sensible aux accidents, volumes et aux couleurs). Souvent considéré à tort comme un ayatollah de la pensée, Pleynet prouve ici — et s’il en était besoin — qu’il existe autant de systèmes et de théories qu’il y a d’œuvres.
Pour l’auteur, les particularités thématiques ou stylistiques d’une œuvre ne sauraient trouver son sens en dehors de l’ensemble de la chaîne spécifique de son corpus. Le sien — qu’il soit poétique, théorique ou simplement “journalière” — l’illustre.
jean-paul gavard-perret
Marcelin Pleynet, Le Déplacement. Journal des années 1982–1983, Gallimard, collection L’Infini, Paris, 2021, 76 p. — 19,00 €.