Marcelin Pleynet, Le Déplacement. Journal des années 1982–1983

Prendre  de l’altitude 

Marce­lin Pley­net reste un poète et théo­ri­cien qui demeure effacé. Il fut pour­tant au coeur de la fin des avant-gardes et aux pré­mices de la post­mo­der­nité.
Même si l’auteur refu­se­rait ce terme à son sujet : cette défi­ni­tion éva­cue en effet les ques­tions de plus en plus pres­santes que pose l’histoire . Cette por­tion de son jour­nal remet devant ses pré­oc­cu­pa­tions de l’époque, au sein de ses nom­breux voyages et confé­rences et au moment de son “dépla­ce­ment” des édi­tions du Seuil aux édi­tions Gal­li­mard lors de trans­fert de la revue qu’il dirige “Tel Quel” (et qui fut avec “Change” un des lieux clés de la lit­té­ra­ture). Elle devient “L’infini”. Avec tou­jours le même but : “prou­ver que la lit­té­ra­ture pense plus qu’on ne le croit” (Phi­lippe Sollers).

Se retrouvent les rap­ports que Pley­net entre­tient avec l’art, la musique et la lit­té­ra­ture modernes (mais pas seule­ment). Tout son dis­cours cri­tique se fonde sur son expé­rience du lan­gage poé­tique. S’élève tou­jours — mais sans for­cer — sa voix face aux pen­sées et sen­si­bi­li­tés nor­ma­tives.
Il sou­ligne leurs faces anti­ar­tis­tiques (lorsqu’il s’agit d’historiens, d’universitaires) ou douées d’un faible tem­pé­ra­ment créa­tif (du moins chez cer­tains de ceux qui se pré­tendent artistes ou écrivains).

Marce­lin Pley­net ne s’attache qu’au vrai, ne ménage per­sonne sans pour autant se faire pour­fen­deur d’ “âmes” quel­conques à ses yeux. Il sait en effet que cha­cun peut subir la tra­hi­son de la pen­sée. Et l’auteur de pré­ci­ser : “Cette pen­sée m’occupe depuis plu­sieurs jours. La pen­sée peut être tra­hie, la pen­sée peut tra­hir, elle peut man­quer dans la pen­sée.“
Et d’ajouter : “la fin de ce XXe siècle m’apparaît comme l’aboutissement, dans les consé­quences de l’aboutissement d’une tra­hi­son de la pen­sée. ” C’est pour­quoi il passe son temps habité par l’exigence d’un accord pro­fond entre sa pen­sée et sa manifestation.

C’est pour­quoi aussi il prend tou­jours de l’altitude tant face aux êtres qu’au pay­sages (il les décrit avec une déli­cate trans­pa­rence tant il reste sen­sible aux acci­dents, volumes et aux cou­leurs). Sou­vent consi­déré à tort comme un aya­tol­lah de la pen­sée, Pley­net prouve ici — et s’il en était besoin — qu’il existe autant de sys­tèmes et de théo­ries qu’il y a d’œuvres.
Pour l’auteur, les par­ti­cu­la­ri­tés thé­ma­tiques ou sty­lis­tiques d’une œuvre ne sau­raient trou­ver son sens en dehors de l’ensemble de la chaîne spé­ci­fique de son cor­pus. Le sien — qu’il soit poé­tique, théo­rique ou sim­ple­ment “jour­na­lière” — l’illustre.

jean-paul gavard-perret

Mar­ce­lin Pley­net, Le Dépla­ce­ment. Jour­nal des années 1982–1983, Gal­li­mard, collec­tion L’Infini, Paris, 2021, 76 p. — 19,00 €.

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