Anne Perry excelle à dépeindre l’atmosphère particulière d’une époque. On peut s’en convaincre avec ses deux séries emblématiques sur l’Angleterre victorienne que sont les enquêtes de l’inspecteur William Monk et celles de Charlotte et Thomas Pitt. Elle s’attache à sortir de cette époque en proposant une nouvelle série se situant dans l’Entre-Deux guerres avec l’émergence du nazisme en Allemagne, du fascisme en Italie.
Dans le premier volume, Dans l’œil du cyclone, elle a raconté les tribulations téméraires d’Elena Standish, une jeune photographe qu’une rencontre impromptue en Italie, entraîne dans le Berlin des années 1930.
Depuis quatre mois, Elena assure quelques missions sans envergure pour les services de renseignements britanniques. Mais, quand on lui demande de retrouver Aiden Strother, la mission lui semble impossible. C’est l’homme dont elle a été la maîtresse, il y a six ans, qui l’a trahie et qui est responsable de son renvoi du ministère des Affaires étrangères. Peter Howard lui fait comprendre cependant qu’elle seule peut assurer cette mission. L’officier traitant de Strother a disparu, celui-ci est dans la nature depuis six ans. Il possède des informations importantes, en particulier sur l’Autriche et une liste ne noms qu’il faut absolument récupérer.
Elle part pour Trieste, sous le couvert d’un reportage photographique, couverture tout à fait appropriée car elle commence à se faire un nom dans ce domaine. C’est pendant un repas familial que Marion, la sœur aînée d’Elena, annonce qu’elle va se rendre à Berlin pour le mariage de son amie Cecily avec un officier de l’armée allemande, une unité spéciale…
En 1933, les séquelles de la Grande Guerre se font encore cruellement sentir avec les deuils qui ont touché presque toutes les familles. De très nombreuses personnes ne veulent plus entendre parler de combats. Des évolutions se sont produites, surtout chez les femmes qui revendiquent plus de liberté, d’autonomie, d’indépendance. N’ont-elles pas montré ce qu’elles étaient capables de faire quand il a fallu remplacer les hommes partis mourir dans la Somme ?
En 1933, alors que depuis janvier il est le chancelier de l’Allemagne, l’ascension d’Hitler semble inéluctable même si son nom n’est pas encore bien connu comme Marion qui parle : “…de ce consternant petit bonhomme, Adolf machin-Chose.” Elle dénonce également ses compatriotes qui se bousculent pour s’attirer les bonnes grâces de ce type.
Anne Perry constitue une belle galerie de personnages liés par des attaches familiales, par l’amitié ou des inimités féroces. Elle peint, avec brio, l’atmosphère de cette époque, les différents courants qui traversent la société anglaise retrace avec art l’Italie de Mussolini et le Berlin sous la coupe nazie. Avec Elena, son grand-père et Peter Howard, l’ami de ce dernier, la romancière décrit avec justesse ce monde de l’espionnage, cet univers où les choses qui semblent évidentes ne le sont pas, où l’inattention représente une menace continuelle, où la moindre erreur devient capitale.
Mais, outre les descriptions, les informations de toutes natures ayant trait à cette période sur la politique, le quotidien de certaines couches sociales, Anne Perry signe une intrigue remarquablement menée où Elena se retrouve, plus souvent qu’à son tour, en danger jusqu’à une chute en apothéose.
serge perraud
Anne Perry, Dans les bras de l’ennemi (Question of Betrayal), traduit de l’anglais par Florence Bertrand, Éditions 10/18, juillet 2021, 360 p. – 14,90 €.