Andreï Guélassimov revisite le roman d’aventures : épatant !
Le lecteur français connaît déjà assez bien Andreï Guélassimov, notamment pour son livre La Soif, paru en 2004 chez Actes Sud, mais c’est avec un roman tout à fait différent qu’il nous revient cette année.
De fait, La Rose des vents, comme son titre peut le laisser supposer, est un roman d’aventure qu’on pourrait décrire comme « dans la plus belle tradition du XIXe siècle », si l’auteur n’avait considérablement modifié le genre pour lui conférer une tonalité résolument contemporaine.
Résumer son intrigue principale n’est pas bien compliqué : La Rose des vents relate l’expédition conduite par Guennadi Nevelskoï en 1848 aux confins orientaux de l’Empire russe et qui a abouti à la découverte d’une voie navigable dans l’embouchure du fleuve Amour, permettant entre autres aux Russes de délimiter sa frontière avec la Chine dans la région et de contrecarrer les appétits chinois et surtout britanniques de l’époque.
Toutefois, conformément aux exigences du genre, le récit se dote d’une multitude de personnages et de sous-intrigues, allant des machinations d’un espion retors aux amourettes d’une jeune orpheline désargentée, en passant par des tractations avec des populations indigènes moins sauvages qu’il n’y paraît. Bref, le lecteur est tenu d’un bout à l’autre de cette fresque au long cours servie par une langue d’une grande élégance, qui n’ignore pourtant pas la facétie.
Ce qui frappe et qui fait la richesse de ce texte, c’est qu’il a sans doute été conçu au rebours du roman d’aventure du XIXe siècle, centré sur l’Europe occidentale et orienté vers des contrées exotiques au climat plutôt tropical. Dans La Rose des vents, le centre de gravité s’est déplacé vers l’est – Saint-Pétersbourg au lieu de Londres ou Paris – et les enjeux de l’action poussent les protagonistes vers les régions glacées et inhospitalières du Kamtchatka.
Je ne me prononcerai pas sur la façon dont un lecteur russe peut percevoir les passages consacrés à la géographie et aux mœurs de l’endroit , mais la lectrice française que je suis a, à n’en pas douter, grandement enrichi sa perception des lieux et sa connaissance des cartes géographiques. J’ai ainsi découvert, à ma grande surprise, qu’avant l’expédition de Nevelskoï, les habitants de Moscou et de Saint-Pétersbourg devaient embarquer et effectuer le tour du monde en traversant l’Atlantique et en dépassant le cap Horn, pour atteindre les confins orientaux de leur Empire. Aucune voie terrestre n’était lors praticable !
Cela étant, ce renversement des perspectives par rapport au roman d’aventure traditionnel du XIXe siècle n’est pas que cosmétique, ni uniquement guidé par les considérations patriotiques de l’auteur ; il signe aussi la grande modernité de ce texte qui invite le lecteur, à plus forte raison occidental, mais pas seulement, à interroger la vision systématiquement autocentrée qu’il a tendance à avoir du monde.
Autrement dit, Andreï Guélassimov a su réinvestir un genre éminemment populaire, à tous les sens du terme, pour en resservir les ingrédients sous la forme d’une œuvre aussi divertissante que profonde. Une vraie réussite.
agathe de lastyns
Andreï Guélassimov, La Rose des vents, traduit du russe par Raphaëlle Pache, des Syrtes, août 2021, 448 p. – 23,00 €.