Peu coutumier du genre, c’est une fois de plus la curiosité qui m’a poussé à lire Ma jeunesse éternelle de David Tavityan, comme elle m’avait poussé à lire La valeur de x, de Poppy Z. Brite (chroniqué dans les colonnes de ce site en 2017).
Qu’est-ce que la vie pouvait réserver à Emile Azad, 70 ans et ancienne gloire du cinéma, après avoir été admis en EHPAD ? Assurément, pas grand-chose s’il ne s’agissait pas d’une histoire imaginaire. Mais c’est précisément parce que nous nous trouvons dans un roman que l’auteur a pu s’affranchir des contingences du réel. Et il ne s’en est pas privé.
Oubliez donc la logique et les limites qui auraient prévalu dans la vraie vie et abandonnez vous aux aventures et mésaventures d’Emile, personnage fantasque évoluant au cœur de situations tout aussi fantasques, comme si vous vous installiez devant une comédie à rebondissements ou rien n’est vraiment crédible mais où tout pousse à sourire.
Derrière le fanfaron au caractère bien trempé (pour ne pas dire mauvais caractère), on découvre un personnage qui s’interroge sur sa vie, sur ce que le cinéma lui a apporté (après quoi il court toujours malgré son âge) et, surtout, sur ce dont il l’a privé. Car le cinéma et le succès ont fait de lui un personnage suffisant et passablement égoïste qui peine à ne plus vivre en dehors de la lumière.
Le temps de ses mésaventures, l’obscurité révèlera pourtant la part d’humanité qui sommeille en lui. Changera-t-il vraiment pour autant ?
On se laisse happer par un rythme assez soutenu. Le découpage de l’ouvrage en chapitres courts accentue cette sensation. Il n’y pas de temps morts, peu de mots inutiles et les introspections auxquelles se livrent parfois Emile ne s’éternisent pas. L’action prévaut. Les mésaventures du septuagénaire s’enchaînent les unes derrière les autres et lui font croiser la route de personnages non moins originaux qui, tous, donnent au roman l’emprunte originale et décalée qui est la sienne.
L’ouvrage, très visuel, semble construit comme une mini-série. Chaque chapitre apporte son lot de nouveautés tout en faisant avancer la trame générale. L’auteur n’a pas poussé le vice jusqu’à imaginer des cliffhanger à la fin de ceux-ci mais ils ne sont pas loin, car on se demande toujours vers quelle nouvelle galère se dirige Emile ou comment il va se sortir de celles dans lesquelles il s’est fourré (il a le chic pour ça). Galère, mais pas seulement !
Parce que l’amour va faire irruption dans sa vie. Encore que, parfois, galère et amour sont enchevêtrés (comment pourrait-il en être autrement dans une comédie qui se respecte ?). S’il fallait poursuivre le parallèle avec le cinéma, l’ouvrage pourrait tout autant être appréhendé comme l’épisode-pilote d’une série à venir car il est loisible de croire, à la fin, que nous ne sommes encore qu’à l’orée d’une aventure qui pourrait se poursuivre (et Emile ne manquerait ni d’énergie ni d’originalité pour qu’il en soit ainsi).
On se laisse séduire par le style, simple et riche à la fois. L’auteur a fait évoluer sa plume et c’est heureux. Elle est plus « apaisée » que par le passé et s’adresse dorénavant aux adultes. Pour autant, elle n’a pas perdu sa dimension burlesque qui la caractérise bien et qui classe encore l’auteur parmi ceux dont les écrits sont davantage humoristiques que dramatiques. En ce sens, nul doute que l’ouvrage distrait.
Toutefois, de-ci de-là, l’auteur s’abandonne, l’air de rien, à quelques observations sur les coulisses du cinéma, sur l’existence qu’il implique lorsqu’on choisit de l’épouser, sur les travers de la célébrité, sur l’âge et ce dont vous prive la vie lorsqu’elle décline…
Ces observations, pertinentes, donnent du poids à l’ouvrage. Mais elles restent trop discrètes et on aurait aimé que l’auteur s’y attarde avec, pourquoi pas, l’ambition de faire de son ouvrage une comédie aux accents dramatiques.
D’ailleurs, on aurait bien envie de voir ce que la plume de l’auteur pourrait offrir dans un univers plus sombre.
darren bryte
David Tavityan, Ma jeunesse éternelle, éditions Ocrée, septembre 2021, 208 p. – 17,00 €.