Une fantastique leçon du pathétique en peinture
Lorsqu’il s’agit d’accoupler les mots “cri” et “peinture”, vient tout naturellement à l’esprit le tableau de Münch comme s’il fracturait à lui seul le silence qui sied à la nature même de la peinture. Et ce, même si comme si le rappelle Thélot, cette figuration fut victime d’une prohibition explicite à l’époque de Winckelmann et Lessing au siècle des Lumières avant que le romantisme recommence à le produire comme “sujet délibéré”.
C’est donc avant Münch, bien avant même et mieux que sa dramaturgie un peu facile (mais fascinante il est vrai), que le cri est présent dans des tableaux majeurs. Et — sauf erreur — Jérôme Thélot (qui nous a déjà étonné chez le même éditeur par Le travail de Jean-Jacques Gonzalès) fait valoir la présence d’une telle thématique picturale
Partant de Pollaiolo, Botticelli, Raphaël et allant jusqu’à Bacon, Picasso et Mason l’auteur la fait résonner via aussi et entre autres La Méduse du Caravage, Le massacre des innocents de Poussin ou le Saint-Michel de Giordano. Thélot rappelle ainsi que le cri reste le “fondement sacrificiel de toute représentation”. La violence serait donc “maçonnée” (selon Bonnefoy cité par l’auteur) sur une telle figuration.
Preuve sans doute que tout l’héritage de la peinture occidentale transcende par cette expression le tragique humain. Elle traduit aussi et par-delà l’appel à une certaine compassion. L’auteur l’analyse finement à travers et entre autres les formes théologiques et sacrificielles qu’elles prennent chez les peintres retenus.
Nous noterons entre autres toute la subtilité des “découpages” des oeuvres de Bacon et Raymond Mason. Elles se découvrent soudain selon un angle inattendu.
Existe en conséquence dans ce livre une fantastique leçon du pathétique en peinture.
Le cri devient ce qui transperce les toiles présentées pour souligner une fièvre et une outrance polymorphe à l’épreuve du temps et dans le déroulement de l’histoire de l’art.
La peinture profère ce que le cri évoque dans l’air chuintant, entre la vie et son ère, lorsqu’elle qui devient caduque. De le douleur rien alors n’est détruit et Thélot souligne comment les peintres ont su mettre en exergue des odyssées abolies à travers divers styles et écoles là où ce qui est montré ouvre les yeux sur divers types de martyrs.
Soudain le son le plus affûté afflue.
jean-paul gavard-perret
Jérôme Thélot, La peinture et le cri — De Botticelli à Francis Bacon, L’Atelier Contemporain, coll. Essais sur l’art, Strasbourg, 6 octobre 2021, 184 p. — 25,00 €.