Deux pièces au verbe truculent, où l’auteur nous entraîne dans une remontée vers un passé marseillais haut en couleur…
Auteur, acteur, metteur en scène, Pierre Ascaride, inventeur du “théâtre à domicile”, dirige le Théâtre 71 de Malakoff depuis 1984. Dans ces deux pièces narratives à l’écriture truculente et au patois savoureux, gouailleur et haut en couleur, le dramaturge nous plonge dans le Marseille d’aujourd’hui et d’autrefois qui est le sien — un Marseille intemporel, tel qu’en ses souvenirs, tel qu’en son coeur.
Mises en oeuvre selon une polyphonie énonciative vivante et drôle, des voix de morts aux parlures pleines de bons mot, de calembours et d’insultes sympathiques nous font entendre le réveil d’une mémoire libre qui voyage d’un manière tout épique en ignorant la chronologie pour le seul effet scénique, délirant à souhait. La présence des ancêtres y est d’une grande force, celle du père surtout, ce père démarcheur-coiffeur étrange, ancien résistant, et qui pourtant, voyant qu’il se défait de ses cheveux, se retrouve au-dessus d’une bassine, la tête sanglante et noire, ayant demandé à sa femme de lui tatouer le cuir chevelu…
Et puis il y a Pierre, personnage auto-fictif qui se construit sur une page de dictionnaire dans une vision de soi sans gloriole, pour s’assimiler sans complexe aux ascaries, avant que de se souvenir comment on a bien pu l’escroquer “la Bettencourt” pour se payer de petites vacances minables… de se souvenir, aussi, combien son métier d’homme de théâtre est un imbroglio de rencontres bizarres, depuis la vieille qui fait jouer en avance l’enfant Ascaride en le méprisant au plus haut point à ces jeunes demoiselles DESSifiées et ratées qui se croient devenues déesses intouchables et absolues du théâtre subventionné…
Dans ces pièces où intertextualité (ah, ces poèmes et chansons du terroir : notamment une parodie populaire de Marinella qui vaut le détour !) et polyphonie énonciative permettent un entremêlement onirique de voix d’outre-tombe, se joue — au double sens existentiel et théâtral — le réveil de la mémoire qui plonge, s’éveille, dans la difficulté d’être sans avoir à se rappeler ou à inventer le Père.
Trames de souvenirs disloquées mêlés de la Guerre et de la misère évoquées avec force pour les “transfuges sociaux”, pour ceux qui ont su s’arracher de leur condition d’origine. Et c’est bien la question des origines qui pose problème, et fait que les morts parlent…
samuel vigier
Pierre Ascaride, Inutile de tuer son père, le monde s’en charge, suivi de Au vrai chichi marseillais, L’Atalante, Bibliothèque de La Chamaille, 2004, 117 p. — 7,90 €. |
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