Quand des hommes se dépouillent
Ce livre a pour décor la péninsule Supérieure du Michigan, une région encore préservée, un terrain apprécié des amateurs de chasse.
Le texte se structure autour de ces lieux et de Will Treadwell, propriétaire du Great Lakes Brew Pub. Celui-ci offre également des services de guide de chasse pour améliorer son ordinaire.
C’est dans cette zone que se déroulent sept récits, sept histoires plus ou moins longues mettant en scène des groupes d’hommes aux parcours différents mais qui, tous, espèrent retrouver dans cette nature une certaine sérénité. C’est ainsi que dans Protecteurs, trois anciens copains de lycée se retrouvent pour tenter de sauver l’un d’eux d’une sévère addiction. Des rapports difficiles d’un homme proche de la soixantaine face à un père tyrannique vont composer Chagrin. Les traumatismes de guerre servent de fonds pour Rêveurs et Lignes de départ.
Ce sont des relations d’individus face à la violence et confrontés à celle des animaux que le romancier propose dans La nature de l’amour sur la dernière frontière. Will, dans Perdu, l’est dans tous les sens du terme. L’hôte donne une place à Lisa, la seule présence féminine de ce livre où tout l’espace humain est occupé par les hommes.
Si la nature est omniprésente, elle sert à révéler les fractures, les failles, les difficultés, les traumatismes soigneusement dissimulés derrière une façade machiste. La présence de Will est plus ou moins importante selon les textes qui se situent à différentes époques et donc à des âges différents. Il reste cependant le fil qui relie ces sept histoires et illustre aussi ses propres failles.
C’est le poids du passé, des relations mal vécues, des situations conflictuelles qui n’ont jamais été abordées de front pour vider l’abcès, des démons à exorciser…
Ces portraits d’hommes, d’âge moyen, mettent en avant les douleurs de leur vie avec tact et réserve. Ces regards aigus portent sur les racines des maux liés au passé, sur ces pères autoritaires ou écrasants, les combats menés, les liens avec les femmes. Et, c’est au sein d’une nature magnifique, personnage à part entière, que le romancier met à nu la vulnérabilité de ces hommes, se servant de cette nature comme révélateur pour faire émerger leur faiblesse.
Dans ces textes sombres, Philip Caputo glisse toutefois quelques rayons de soleil avec la présence de Lisa, une femme lumineuse qui apporte l’espoir d’une vie meilleure.
La Lune du chasseur est un ensemble remarquable de récits tant par le soin méticuleux pris à exposer ces portraits, l’habilité à exprimer l’impuissance de l’être humain, allant au plus profond de l’intimité, que pour l’art de la narration, la maestria à exprimer des émotions difficiles à avouer.
serge perraud
Philip Caputo, La Lune du chasseur (Hunter’s Moon : a novel in stories), traduit de l’anglais (États-Unis), par Fabrice Pointeau, Le cherche midi, coll. “Romans étrangers”, mai 2021, 336 p. — 22,00 €.