Philip Caputo, La Lune du chasseur

Quand des hommes se dépouillent

Ce livre a pour décor la pénin­sule Supé­rieure du Michi­gan, une région encore pré­ser­vée, un ter­rain appré­cié des ama­teurs de chasse.
Le texte se struc­ture autour de ces lieux et de Will Tread­well, pro­prié­taire du Great Lakes Brew Pub. Celui-ci offre éga­le­ment des ser­vices de guide de chasse pour amé­lio­rer son ordinaire.

C’est dans cette zone que se déroulent sept récits, sept his­toires plus ou moins longues met­tant en scène des groupes d’hommes aux par­cours dif­fé­rents mais qui, tous, espèrent retrou­ver dans cette nature une cer­taine séré­nité. C’est ainsi que dans Pro­tec­teurs, trois anciens copains de lycée se retrouvent pour ten­ter de sau­ver l’un d’eux d’une sévère addic­tion. Des rap­ports dif­fi­ciles d’un homme proche de la soixan­taine face à un père tyran­nique vont com­po­ser Cha­grin. Les trau­ma­tismes de guerre servent de fonds pour Rêveurs et Lignes de départ.
Ce sont des rela­tions d’individus face à la vio­lence et confron­tés à celle des ani­maux que le roman­cier pro­pose dans La nature de l’amour sur la der­nière fron­tière. Will, dans Perdu, l’est dans tous les sens du terme. L’hôte donne une place à Lisa, la seule pré­sence fémi­nine de ce livre où tout l’espace humain est occupé par les hommes.

Si la nature est omni­pré­sente, elle sert à révé­ler les frac­tures, les failles, les dif­fi­cul­tés, les trau­ma­tismes soi­gneu­se­ment dis­si­mu­lés der­rière une façade machiste. La pré­sence de Will est plus ou moins impor­tante selon les textes qui se situent à dif­fé­rentes époques et donc à des âges dif­fé­rents. Il reste cepen­dant le fil qui relie ces sept his­toires et illustre aussi ses propres failles.
C’est le poids du passé, des rela­tions mal vécues, des situa­tions conflic­tuelles qui n’ont jamais été abor­dées de front pour vider l’abcès, des démons à exorciser…

Ces por­traits d’hommes, d’âge moyen, mettent en avant les dou­leurs de leur vie avec tact et réserve. Ces regards aigus portent sur les racines des maux liés au passé, sur ces pères auto­ri­taires ou écra­sants, les com­bats menés, les liens avec les femmes. Et, c’est au sein d’une nature magni­fique, per­son­nage à part entière, que le roman­cier met à nu la vul­né­ra­bi­lité de ces hommes, se ser­vant de cette nature comme révé­la­teur pour faire émer­ger leur fai­blesse.
Dans ces textes sombres, Phi­lip Caputo glisse tou­te­fois quelques rayons de soleil avec la pré­sence de Lisa, une femme lumi­neuse qui apporte l’espoir d’une vie meilleure.

La Lune du chas­seur est un ensemble remar­quable de récits tant par le soin méti­cu­leux pris à expo­ser ces por­traits, l’habilité à expri­mer l’impuissance de l’être humain, allant au plus pro­fond de l’intimité, que pour l’art de la nar­ra­tion, la maes­tria à expri­mer des émo­tions dif­fi­ciles à avouer.

serge per­raud

Phi­lip Caputo, La Lune du chas­seur (Hunter’s Moon : a novel in sto­ries), tra­duit de l’anglais (États-Unis), par Fabrice Poin­teau, Le cherche midi, coll. “Romans étran­gers”, mai 2021, 336 p. — 22,00 €.

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