Germain Viatte, L’Envers de la médaille — Mondrian, Dubuffet, les pouvoirs publics et l’opinion

 Un aspect méconnu de la vie artis­tique en France depuis les débuts du XXe siècle

“Ces deux textes sont long­temps res­tés dans mes tiroirs, blo­qués par une sorte d’embarras devant les contra­dic­tions qu’ils peuvent révé­ler dans l’exercice déli­cat des musées en un temps sup­posé glo­rieux, celui des années 60/70, qui vit l’érection au cœur de Paris d’un objet archi­tec­tu­ral et urbain véri­ta­ble­ment extra­or­di­naire, le Centre Georges Pom­pi­dou.” pré­cise Ger­main Viatte, conser­va­teur géné­ral hono­raire du patri­moine après avoir été un des res­pon­sables majeurs de divers musées : Centre Pom­pi­dou déjà cité, musées de la ville de Mar­seille, Musée natio­nal d’art moderne et du Centre de créa­tion indus­trielle au Centre Pom­pi­dou, musée du quai Branly et Musée des arts d’Afrique et d’Océanie.

Ces deux textes res­tèrent donc dans l’ombre sans doute pour ne pas por­ter pré­ju­dice à la tra­jec­toire per­son­nelle et la réus­site pro­fes­sion­nelle de leur auteur. Réunir, comme il le pro­pose, Mon­drian et Dubuf­fet peut paraître à la fois contra­dic­toire et dan­ge­reux pour un auteur qui fut un des grands ordon­na­teurs des musées fran­çais. Ces deux artistes en de temps dif­fé­rents marquent deux rup­tures radi­cales dans l’art.
Ils durent en consé­quence affron­ter un aveu­gle­ment de l’opinion autant du public que des pou­voirs publics. Ils per­mettent néan­moins de poser des ques­tions essen­tielles sur les fonc­tions et obli­ga­tions des musées. Et ce, en par­ti­cu­lier du Centre Pom­pi­dou au moment où “l’horizon et les condi­tions d’existence de nos ins­ti­tu­tions ont radi­ca­le­ment changé non sans effets de crise dif­fi­ci­le­ment surmontés.”

Viatte en appelle à une nou­velle défi­ni­tion du musée. Il ne doit être ni une “école” ni un “banc d’essai” en un temps où une poli­tique patri­mo­niale rigou­reuse dans le cadre du dis­po­si­tif des dota­tions ne suf­fi­sait plus et où il fal­lut faire appel à divers type de spon­so­ring cultu­rel. Mais l’auteur sou­ligne com­bien “For­çant l’allure, la “loco­mo­tive” semble par­fois oublier l’essentiel, la pos­si­bi­lité pour des artistes très iso­lés de vivre leur propre pro­gres­sion et de la transmettre”.

Les deux monstres créa­teurs sou­lignent la pro­blé­ma­tique à laquelle les musées doivent désor­mais répondre. Et le livre met en évi­dence com­bien la vie des deux artistes fut un com­bat : contre eux-mêmes, contre les conven­tions et le goût, contre les pou­voirs éco­no­miques et par­fois poli­tiques, contre la suf­fi­sance des par­ve­nus et des pré­ten­dus savants de l’histoire de l’art voire leur indif­fé­rence et aveu­gle­ment. Il leur a fallu atteindre la qua­ran­taine pour révé­ler leur per­son­na­lité artis­tique, radi­cale et sin­gu­lière, et en affir­mer le déve­lop­pe­ment et l’importance, mal­gré les dif­fi­cul­tés, les rejets, et grâce à la clair­voyance de cer­tains “com­plices” pour fina­le­ment voir des pou­voirs public s’intéresser à leur oeuvre.
En sui­vant très pré­ci­sé­ment la chro­no­lo­gie des don­nées docu­men­taires, Ger­main Viatte, sans craindre de révé­ler des moments pénibles ou sca­breux, illustre avec retard un aspect méconnu de la vie artis­tique en France depuis les débuts du XXe siècle dont il fut pour­tant un des poten­tats qui sou­vent s’aligna sur des lignes de conduite sans faire état d’une cer­taine diver­sité de l’art.

jean-paul gavard-perret

Ger­main Viatte, L’Envers de la médaille — Mon­drian, Dubuf­fet, les pou­voirs publics et l’opinion, L’Atelier Contem­po­rain, Stras­bourg, 2021, 424 p. - 25,00 €.

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