Luchino Visconti en 1954 a rendu célèbre cette logique nouvelle tout en modifiant son sens. Dans ce superbe film, il transforme l’héroïne en “simple” victime d’un amant ignoble. Mais, chez Boito, la lutte entre La Princesse Livia et son amant est plus égale.
Les diaboliques sont entraînés vers la destruction de l’autre et d’eux-mêmes avec cynisme.
L’optique de Boito est donc plus puissante que celle de Visconti qui annexe l’héroïne à son propre imaginaire. Mais chez le romancier la condensation est extrême et en quelque sorte égalitaire.
L’histoire est autant d’amour que de trahison et de vengeance auprès d’un amant lieutenant veule et lâche.
Sous forme d’un extrait du journal intime de la comtesse Livia, celle-ci apparaît comme une fleur vénéneuse de son lieu tenant : à savoir Venise.
Elle règne sur la cité des Doges et met le monde à sa botte par son pouvoir sur les hommes et les femmes.
Mais cette princesse se laisse berner par son bellâtre même si d’emblée elle sait à qui elle a à faire : “Il n’aimait pas les duels, et même, deux petits officiers me racontèrent un soir que, plutôt que de se battre, il avait avalé à maintes reprises les plus atroces insultes”.
Reste qu’elle est saisie voire sidérée et fascinée par sa perversité comme par sa beauté.
D’où ce jeu de miroirs entre deux Narcisse. Exit l’histoire d’amour traditionnelle : le mal se lie au mal dans un duel infernal égoïste et cruel. Aux passions sombres répondent des élans sensuels là où, sur la lagune, les gondoles nocturnes semblent rythmer le parcours d’une traversée de l’Achéron.
L’héroïne, déjà allongée dans l’une d’elles comme dans un cercueil, se laisse aller aux voluptueux caprices de son imagination sur laquelle Boito rebondit superbement.
jean-paul gavard-perret
Camillo Boito, Senso, éditions Sillage, 2008, trad. italien, Monique Baccelli, 68 p. –7,50 €.