david LaChapelle, Shoe Story, 1995 / Zorro, Untitled (Still life), 1968.
Le fouet en pot et la chaussure à talon haut
Pour son troisième dialogue de sa “Collection”, Ettore Molinario, économiste et historien d’art italien, crée la juxtaposition d’une nature morte de Zorro, photographe mystérieux et anonyme de génie, et d’une image de la série “Shoe Story” de David LaChapelle.
Il entame ainsi la démonstration du lien qui unit deux maîtres du fétichisme.
Pendant au moins deux décennies, Zorro s’était habillé comme l’épéiste masqué. Chaque habillage avait eu lieu dans la chambre d’un vieil appartement parisien. Dans les années 1940, les autoportraits étaient en noir et blanc, nocturnes. La couleur et la lumière chaude du jour, en revanche, annonçaient sa maturité en 1968, année de toutes les rébellions.
En prenant congé de ses fantasmes, Zorro avait inséré ses fouets bien-aimés dans un vase d’ananas en guise d’une sorte d’adieu là où tout pendouille de manière obsolète.
Il avait choisi ces fleurs roses pour rendre l’hommage le plus délicat et le plus cruel à l’homme qu’il avait été et que à cause de son âge, il n’’était plus. Et parmi toutes les couleurs possibles, il avait choisi le rose parce qu’il savait combien — encore au XVIIIe siècle et au début du XXe siècle — il avait été la couleur de la virilité avant que le rouge devienne l’apanage de ceux qui sont censés incarner la force, la passion, la justice et qui ne sont souvent que des Ponce Pilate aux confins des champs de gloire et de ruine.
Trente ans plus tard, David LaChapelle voulut aussi vaquer dans les prairies domestiques du désir. Lui aussi est devenu Zorro et a laissé la combinaison de son modèle envelopper totalement son corps de latex bleu.
Et ce, pour une raison majeure : le ciel d’aujourd’hui est chromatiquement destiné aux hommes. Si seulement c’était le cas, il faudrait protester, mais une petite chaussure rose à talon reposant sur la tête du héros, sorte de catcheur ivre, équilibre le jeu des conventions et rappelle que la couleur de l’ancien pouvoir masculin est la même couleur qui est attribuée aujourd’hui encore aux femmes.
N’est pas encore venu le temps de sonner le glas d’un tel angélus chromatique et sexuel.
jean-paul gavard-perret
Ettore Molinario, Third dialogue, Collezione Molinario, Milan, 2021.