Incendies

Chris­tophe Gio­lito, formé à l’histoire de phi­lo­so­phie, enseigne la phi­lo­so­phie et la culture géné­rale. A côté de ses acti­vi­tés pro­fes­sion­nelles, il a tou­jours mani­festé un vif inté­rêt pour le théâtre. Après s’être essayé (sans suc­cès) à la dra­ma­tur­gie, il a fait de la scène clas­sique et contem­po­raine l’un de ses prin­ci­paux loi­sirs ves­pé­raux. Dans un style volon­tai­re­ment ellip­tique et sug­ges­tif, il com­mence à chro­ni­quer pour lelitteraire.com au cours de l’année 2008.

Pari déses­péré. Pour le gagner, il eût fallu s’y mettre au moins à toute l’humanité

Le décor est nu, tuyau­te­ries et appa­reillages visibles, comme c’est devenu habi­tuel. Les per­son­nages entrent en scène sous la lumière ; le début de la pièce n’est pas mar­qué, c’est ten­dance. Les acteurs sont pré­sen­tés, ini­tia­le­ment dis­tincts du rôle dans lequel ils vont s’incarner. Ils auront à deve­nir le jouet du texte cruel qui vien­dra inexo­ra­ble­ment les habi­ter.
Comme des enti­tés abs­traites ils se meuvent au rythme de gongs impro­vi­sés, qui cherchent à dyna­mi­ser les lents échanges de mots de plomb.

Des scènes d’exposition un peu longues, voire lourdes, que s’accapare le per­son­nage lou­foque d’un notaire. Un début un peu pesant, donc, à moins que ce ne soit celui d’une longue et grave his­toire… Réunis­sant cer­tains de ses acteurs fétiches (comme Laurent Sau­vage, qui inter­prète brillam­ment une par­ti­tion excep­tion­nelle, s’amusant à jouer aux limites du jeu, comme s’il se mon­trait déjoué), Sta­nis­las Nor­dey porte à la scène un auteur liba­nais peu connu, fai­sant le choix d’une scé­no­gra­phie mini­ma­liste, s’effaçant déli­bé­ré­ment devant le texte. Un excep­tion­nel tra­vail d’acteurs, sur les acteurs : on sent tout l’effort qu’il a fallu pour les por­ter tous au même niveau d’interprétation.  

Le texte est dif­fi­cile, voire impos­sible de cruauté (retrou­vant cer­tains accents des pièces d’Edward Bond, mais sans l’objectivation qui carac­té­rise ce der­nier) ; il relate l’enquête qu’une femme défunte charge ses enfants d’effectuer, sous forme mi-ubuesque, mi-dramatique, sur leurs ori­gines. Ver­ti­gi­neuse quête de soi, cette pièce vio­lente mêle l’amour et la haine, le bon­heur et l’horreur, se risque à les confondre pour mieux signi­fier leur dif­fé­rence. Un texte édi­fiant, quasi didac­tique, presque naïf par­fois dans la sim­pli­cité de ses dires.
Sta­nis­las Nor­dey signe là une brillante mise en scène, qui sait faire vivre ce texte et le por­ter jusqu’au-delà de lui-même. Les acteurs, dénués de cou­leurs, sou­mis à la fra­gi­lité de leur per­son­nage, se laissent pro­gres­si­ve­ment habi­ter par la cruauté du drame. Sou­vent mis en copré­sence, ils s’effacent du centre du pla­teau pour figu­rer autour. Qui sait ? Des témoins, des jurés, des juges, après avoir été des plaideurs.

L’éclai­rage simple et cru révèle les visages et leurs cris ; la magie de la mise en scène par­vient par moments à faire des acteurs des icônes his­sées sur un pié­des­tal de lumière. Du grand théâtre, violent et drôle, riche et fluide, qui cherche à défendre la vie contre la mort, la paix contre la guerre.
Pari déses­péré. Pour le gagner, il eût fallu s’y mettre au moins à toute l’humanité.

chris­tophe giolito

Incen­dies

de Wajdi Mouawad

Mise en scène
Sta­nis­las Nor­dey, assisté de Mohand Azzoug

Avec :
Claire-Ingrid Cot­tan­ceau, Raoul Fer­nan­dez, Damien Gabriac, Char­line Grand, Fré­dé­ric Leid­gens, Julie Moreau, Véro­nique Nor­dey, Lamya Regra­gui, Laurent Sau­vage, Serge Tran­vouez
Scé­no­graphe :
Emma­nuel Clo­lus
Col­la­bo­ra­tion artis­tique :
Claire-Ingrid Cot­tan­ceau
Lumières :
Sté­pha­nie Daniel
Créa­tion son :
Antoine Guilloux
Cos­tumes :
Myriam Rault 

NB - Le texte est publié chez Actes Sud Papiers.

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