Publié sous la direction de Jean-Yves Tadié, ce livre rassemble — à l’exception de Marguerite Duras et de Beckett — ceux qui dès les années 60–70, autour de Jérôme Lindon et ses éditions, allaient former le “Nouveau roman” sous lequel se dessina sinon une école du moins un aéropage dissident des narrations communes.
Il est vrai que les univers romanesques sont bien différents.
Claude Simon laisse une grande place à l’Histoire du temps dans ses romans : chez Robbe-Grillet (sans doute le plus proche de Lindon), elle se dissout.
Quant à Michel Butor, Claude Ollier, Robert Pinget, Nathalie Sarraute, ils ne font que tourner autour. Mais dans ce livre se discerne combien les uns et des autres se soutiennent, se lisent, s’éloignent et de fait les lettres témoignent sinon de l’existence d’un mouvement littéraire compact, du moins d’un moment nouveau du roman.
Ce corpus devient une pièce justificative de cette étape majeure.
Au gré des chapitres se décline un passage vers une nouvelle voie et une autre expérience de la fiction. La monstration du secret de l”existence y échappe à la narration classique comme à ses repères. Chacun des impétrants s’oblige à un travail de décryptage.
Le romanesque est détourné du lit de son fleuve tranquille et fait le jeu d’une autre proximité plus intéressante.
La fiction perd son statut de bloc de référence au réel afin qu’émerge une littéralité différente faite de fragmentations, dispersions, incisions, coupures. De ces bribes assemblées surgit chez un Pinget l’attrait du néant mais pour Simon ou Sarraute la quête du sens. Dans tous les cas, la poétique de l’imaginaire prend des tournures inconnues.
Chaque oeuvre reste l’approche ou le prolongement d’un livre entrevu qui répondrait par explorations de nouvelles données et archives à la fois au “sommes-nous” de Jabès et au “si je suis” de Beckett.
Les auteurs qui ont pulvérisé les voies de la prétendue transparence narrative sont là saisis au plus près de leur vie et de leurs préoccupations littéraires. Et leur correspondance fait émerger certaines pièces qui font partie d’une entreprise multiforme.
Elles ne peuvent l’englober en sa totalité.
Mais cela résonne comme un puzzle, un assemblage de pièces disparates qui laissent apparaître jusqu’à des doutes voire des confusions et des absences face aux idées admises.
Et ce, en une lucide simplicité.
jean-paul gavard-perret
Collectif, Nouveau Roman. Correspondance, 1946–1999, Michel Butor, Claude Mauriac, Claude Ollier, Robert Pinget, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute et Claude Simon,
édition de Carrie Landfried & Olivier Wagner, Gallimard, collection Blanche,Paris, 2021, 336 p.