La “Mélodie” de Catherine Benhamou est librement inspirée par la vie d’Emily Dickinson. Elle redonne voix à celle qui s’était recluse dans le silence sans fond.
Auteure d’un nombre impressionnant de poèmes et de lettres, elle ne fut jamais publiée de son vivant mais est devenue une des poétesses majeures du XIXème siècle et bien au-delà.
Catherine Benhamou entérine son éternité dans un texte au souffle narratif et poétique qui devient une fiction théâtrale. Elle scénarise celle qui rêva de faire bouger les choses, de sortir de l’invisibilité.
Emily Dickinson y dit son “métier” de femme imposé au service d’un mari et en respectant les consignes sociales avant de passer en quelque sorte de l’autre côté de la frontière.
La créatrice redonne vie à celle dont l’existence crée une émotion profonde. Catherine Benhamou la suggère dans la musicalité d’une langue qui — entrant dans celle “paralysée” de l’Américaine — garde l’équilibre entre ses mots et ses silences.
Elle dut rester cachée, terrée de plus en plus en elle et exposée à des douleurs et des manques viscéraux.
L’auteure fait franchir le seuil de son intériorité et de sa quête, de ses divers états de trouble que les mots attisent dans un confession par procuration et un effet de psyché. Car Catherine Benhamou a compris son héroïne extraordinaire.
Celle-ci d’une certaine manière sut tout de sa situation en dépit de ses moments de rupture qui n’excluent en rien la lucidité. Bien au contraire.
La dramaturge “traduit” la poétesse et sa paradoxale liberté au sein de l’enfermement ouvert — tant que faire se pouvait — par le désir radical de l’écriture. Elle impose ainsi une vision qui est bien autre chose qu’une adaptation — ce qui n’empêche en rien le respect de son modèle. Elle retourne à la source de sa vie et de son oeuvre.
Existe là une unicité non illustrative mais créatrice d’une avouable communauté là où se mêle un souffle complémentaire à celui d’Emily.
L’auteure introduit juste ce qu’il faut de trouble apparemment sans rien déranger là où le texte dans sa dramaturgie prend une dimension imprévisible. Il est vrai qu’elle connaît bien non seulement la poétesse mais aussi le corps des femmes et leur histoire.
Et ce, en une théâtralisation qui mène jusqu’au bout du littéral, du silence et leur mélodie des aveux.
jean-paul gavard-perret
Catherine Benhamou, La Mélodie sans les paroles, Des femmes — Antoinette Fouque, 2021, 80 p. — 12,00 €.