Ecrire pour rejeter ce qui tue
D’abord publié chez Maspero, Antoinette Fouque propose en poche dès 1976 ce livre de la jeune écrivaine Emma Santos (1946–1983). Il reparaît aujourd’hui. L’auteure y remonte son enfance de pauvreté et de violence puis de maltraitance dans les institutions psychiatriques. La narratrice (son double) est chargée d’attacher à leur siège des enfants trisomiques toute la journée.
L’évocation est terrible. Mais l’héroïne les détache, les libère en prenant le risque d’y laisser sa vie.
Se succèdent des traversées de la solitude et de la souffrance là où l’auteure décrit sans fards les traitements chimiques destructeurs, les avortements, les abandons par des hommes lâches et l’interdiction d’écrire. Et ce, avant une expulsion autant douloureuse que libératoire où une des compagnes de l’héroïne paye sa transgression d’un suicide.
Ce témoignage “de rage et de révolte” (écrivit Emma Santos) reste d’une force incroyable et d’une lecture presque insoutenable.
De fait, ce livre écrit “la moitié dehors, la moitié dedans, entre les rues de Paris et les hôpitaux” devient le récit existentiel d’un corps rendu malade depuis toujours si bien que l’auteure avoue n’avoir “jamais envié une bonne santé”.
C’est dire ce point de non-retour au moment où pourtant l’auteure ose le geste terriblement régénérateur : celui d’écrire pour rejeter ce qui tue.
Emma Santos parlait d’exhibitionisme à propos de son livre. Il n’en est rien. L’outrance est nécessaire et c’est la meilleure conseillère littéraire pour mener à bien la présence du mal et tenter de l’expurger entre fragments et ruines. Surtout là où persiste une volonté de s’autodétruire lorsqu’il s’agit “d’écrire comme on meurt ou écrire quand on ne meurt pas”.
A ce seul titre déjà, un tel livre est forcément dramatiquement sublime.
jean-paul gavard-perret
Emma Santos, La Malcastrée, Des Femmes — Antoinette Fouque, 2021 (1976 1ère édition), 128 p. — 6,50 €.