Le Cahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour support un cahier Conquérant de 90 pages à petits carreaux; il est manuscrit jusqu’au moment où je l’écris de nouveau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la possibilité donnée à l’écrivain de, tout en parlant de lui, tenir un discours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des principes d’identification auxquels je prête foi.
Fragment XIII ou Écrire
Un point de coïncidence. La surface de la page et l’encre, dans une durée particulière. Occupation plus haute que la vie. Franchissant la mort, les morts.
Pays d’apocalypse douce. Absorption, unité, retour vers soi, signalétique, une espèce de saut de l’ange.
Ma page ? Composition lente, qui ne cesse de revenir en arrière. Qui se penche sur elle-même. Représenter. Montrer. Simplement un angle. Un coin — angle ou petite partie. Toujours du langage écrit.
Une attirance pour les étapes d’un livre, en partant d’une viduité, un seuil abstrait où se rencontrent les images et ma personne psychologique et physiologique, ma vie donc.
Réalité capable de faire réalité. Délimitant juste l’énigme. Un univers plié, et naissant très tard dans l’histoire humaine.
À l’endroit où se tordent les débuts du monde, lesquels viennent d’un autre lieu, où commence seulement cette forme, considérée tel un seuil entre deux états de l’univers.
En moi, ce n’est que de l’intrigue, la dramaturgie d’une lettre, d’une phrase, d’une strophe jetées dans l’illumination. Un passage qui me ramène à moi.
Regarder depuis le regard, bâtir depuis le bâtiment, devenant être d’un seul coup, une seule fois, souligner ce qui se souligne, disparaître dans l’absence. Telles sont les étapes de la vie spirituelle.
N’importe quel message devient profond s’il veut traverser les années. Figure du puits mystérieux dans lequel stagnent des eaux ténébreuses, que le travail du seau rend claires, abondantes, bénéfiques, douces à boire, partageant en elles toutes les charités, désignant autrui, celui qui boira de cette eau d’argent et de métal blanc.
Matière première, matière primaire. Un vague sentiment d’éternité. Sinon pas de vraies possibilités pour narrer. Se tenir immobile dans sa mémoire personnelle, se figer dans la cristallisation des événements narrés par le livre, m’est impossible.
Je ne connais en moi qu’une espèce d’archilangage. Le langage ne se suffisant pas, il me faut le défaire puis le dilater, le poursuivre dans sa cachette.
Ai-je appris au détour de ces lignes manuscrites ? Un peu.
Mais quelle double douleur et joie que cette nuit que je remplace par une autre nuit !
Didier Ayres