Didier Ayres, Cahier, “Fragment XII ou Vide”

LCahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour sup­port un cahier Conqué­rant de 90 pages à petits car­reaux; il est manus­crit jusqu’au moment où je l’écris de nou­veau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la pos­si­bi­lité don­née à l’écrivain de, tout en par­lant de lui, tenir un dis­cours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des prin­cipes d’identification aux­quels je prête foi.

Frag­ment XII ou Vide 

Ce cahier pour ne pas me perdre. Sou­li­gner une pré­sence qui fait défaut. Sur­li­gner ce qui manque. Sen­tir la pré­sence néga­tive de ce que l’objet décrit. Depuis là, faire corps, faire cores­prit.
C’est-à-dire sans pou­voir défaire le lien de la lettre, du verbe et de l’imagination, du texte et de son exé­gèse. Du corps et de son intel­li­gence, de la per­sonne consi­dé­rée ainsi qu’une unité de la chair à des subjectivités.

Cela dit, demeure le tra­vail de tra­duc­tion de cette fusion de la matière orga­nique qui nous consti­tue tous, le monde léger de l’intuition, et l’appareil de la sen­si­bi­lité, affec­ti­vité por­tée au lan­gage. Com­ment rendre cette figure man­quante ?
Bizar­re­ment pour mon tra­vail d’écrivain, je dois cer­ner le néant, comme si ma per­sonne n’avait pas d’autonomie. Qu’elle ne soit elle-même que le moyeu de mon exis­tence, qui se trou­ve­rait consi­gnée dans un espace sans rien, sorte de chambre capi­ton­née abso­lu­ment vide.

Pour­quoi ? Je ne peux m’y sous­traire. Je ne m’échappe pas. Ce qui ne m’empêche nul­le­ment d’aimer le monde, sa plé­ni­tude, sa beauté, ce souffle qui appar­tient à ma per­sonne exté­rieure.
Nom­mer le monde. Être dans le monde. Ne pas y être.

Néan­moins le livre recèle, non pas le vide, mais cir­cons­crit comme phy­si­que­ment dans le cahier, le vide comme un lieu que j’entoure. Dès lors, il faut être atten­tif et sur­veiller les contours d’un verre, les ombres por­tées au sol vers midi, sai­sir cette épi­thète qui vient tou­cher la viduité de son essence.
Sil­houette ? Contour du visage ? Conte­nir assez long­temps pour sai­sir ce qui vient à moi ? Je ne sais rien ou plu­tôt, je me trouve devant une tâche sans fin, quand écrire est un exer­cice inces­sant, qui se renou­velle presque à chaque mot sorti de la pro­fon­deur noire et impé­né­trable du néant intérieur.

Échanges ? Rela­tions ? Ceux des liens de sous­crip­tion à l’état d’auteur ? Tra­vaux d’un être dépeu­plé ?
Contacts avec ce qui me désem­plit ? Construc­tions artis­tiques ? Partitions ?

Image du jet d’eau de Genève, espèce d’action sans consé­quence, mais sur­tout cap­tant la puis­sance des eaux.
Ce gey­ser fait image de l’écriture, sa base : une force inhé­rente à elle-même et sans aucun but, de manière presque insen­sée ; tou­jours mon­tante, fruc­ti­fiant. 

Didier Ayres

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