Un maître du suspense et de la manipulation
L’intrigue s’inscrit dans un huis clos sur les relations entre les membres d’une famille quand certains souffrent de narcissisme immodéré, sur les rapports d’un couple lorsque celui-ci est construit sur des bases bancales. Autour d’un patriarche, au sens opprimant du terme, d’une mère qui a eu son heure de gloire comme comédienne dans une série télévisée et des enfants soumis à un narcissisme effréné, le romancier tisse un réseau d’interactions fortes et subtilement destructrices.
Parallèlement, il anime un avocat qui rêve de réussir pour faire mentir son père qui le traitait de bon à rien, une jeune mère de famille, ex-secrétaire du dit avocat, et une jeune fille, ambitionnant de devenir journaliste.
Un prologue décrit un homme mort dans son bureau. Puis l’action débute avec Ivy Roan en 2018. Cette dame, fort déterminée, travaille dans la communication d’entreprise. Elle vient de rompre avec son amant et apprend la mort de son père.
Amanda, une jeune Canadienne, a été recommandée par son père pour un séjour en Écosse, chez Vince et Kirsten. Elle est déçue car elle doit s’occuper presque à temps complet du bébé du couple. Pour l’heure, ils partent en Algarve. Vince les retrouvera à l’aéroport, il prend quelques minutes pour passer au bureau boucler une affaire importante.
C’est près de la salle d’embarquement qu’Amanda voit pour la première fois Celia et Marion Temple, l’épouse et la fille aînée du grand Max Temple. Celui-ci, professeur de psychologie, est devenu célèbre en analysant et discréditant les théories complotistes. Il est décédé depuis peu et Celia veut réunir toute sa famille dans leur villa portugaise.
Malgré l’absence incompréhensible de Vince que Celia et Marion ont vu dans la salle d’embarquement, elles sont parties. Mais il reste injoignable.
Sur place, Amanda va côtoyer cette famille, qui occupe la villa voisine. S’ils présentent l’image d’une famille parfaite, ils portent le poids de la disparition tragique, il y a seize ans, de la petite Niamh, la fille de Sylvie, la cadette tout juste sortie de l’adolescence.
C’est dans une ambiance délétère qu’Amanda, qui rêve de devenir journaliste, commence à fouiller, mais…
Le récit se déroule en va-et-vient entre 2002 et 2018. Chaque protagoniste exprime son point de vue, se remémore ses actions et attitudes dans le passé, ce qu’il observe et pense à l’heure actuelle.
Certains étaient présents aux deux dates, des nouveaux sont arrivés, d’autres ont disparu depuis.
Chris Brookmyre puise dans une triste réalité qui, si elle longtemps été cachée, se révèle de plus en plus, mettant en scène, par exemple, des donneurs médiatiques de leçons. Les personnages ont des caractères complexes, certains sont fracassés pour avoir vécu des situations dévastatrices, d’autres ont des natures torturées, veulent prendre une revanche, se venger.
Et les suites de cette disparition restent encore palpables aujourd’hui.
Mais, autour de ses personnages et de leurs traumatismes, l’auteur fait graviter nombre de réflexions, de remarques, s’autorise quelques avis très pertinents sur des faits de société, sur les comportements, sur les sentiments. Il livre une vision fort gratinée sur ce qu’est devenu le journalisme, sur l’intérêt relatif de la religion. Il propose de magnifiques évocations et analyses des théories complotistes. Il fait une belle description de celle relative aux premiers pas de l’Homme sur la lune soi-disant tournés en studios, sur la mort de Lady Di, sur le nombre de coups de feu tirés lors de l’assassinat de Kennedy…
Il intègre les MGF, les Mutilations Génitales Féminines, dont la plus connue est l’excision. Le choix d’Ivy comme prénom d’un personnage, prénom bien connu des amateurs de bandes dessinées, n’est pas dû au hasard car il masque une situation tragique.
Avec L’Ange déchu, ce maître de la manipulation qu’est Chris Brookmyre donne une intrigue psychologique fouillée, ciselée, construite avec un soin méticuleux.
Il multiplie les révélations, dévoile les indignités jusqu’à un dénouement complètement inattendu.
serge perraud
Chris Brookmyre, L’Ange déchu (Fallen Angel), traduit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller, Métailié, coll. “Bibliothèque écossaise – Noir”, mars 2021, 384 p. – 22,00 €.