Didier Ayres, Cahier , “Fragment V ou Décrire”

 

LCahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour sup­port un cahier Conqué­rant de 90 pages à petits car­reaux; il est manus­crit jusqu’au moment où je l’écris de nou­veau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la pos­si­bi­lité don­née à l’écrivain de, tout en par­lant de lui, tenir un dis­cours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des prin­cipes d’identification aux­quels je prête foi.

Cahier, Frag­ment V  ou Décrire

I

Je ne sais voir que ce qui change. Je ne sais voir ici la forme exacte de ma chambre ni les toits d’en face, car ce décor existe trop, trop fort, trop imagé. Ces signes me sont une forêt obs­cure. En somme, il faut dres­ser le pay­sage, lui appli­quer un mors.
L’obliger à dépendre de l’idée ou de la notion qui l’accompagne. Sans doute est-ce une angoisse insécure.

Décrire la dis­pa­ri­tion. Ce qui pro­duit le désert. Ce qui anni­hile le décor, les murs jaunes du bureau.
Décou­lant de cette démarche : l’absence, la soli­tude, le ser­re­ment de l’angoisse, celle qui ne désigne rien, celle qui se trouve être un simple état.

Le très som­maire pin­ceau de lumière pénètre par le pli du rideau, lumière tra­ver­sante, jet de lumière qui immo­bi­lise le cercle qu’elle pro­page, cher­chant une sorte d’immobilité fac­tice. Comme se brûlent des papillons rouges sur un ciel noir. Des lunules incan­des­centes.
Seul vrai secret de la description.

Oui, cela dis­pa­raît pour appa­raître : il faut perdre, détruire le pay­sage avoi­si­nant, esca­mo­ter divers détails, cir­cons­crire à grands traits une réa­lité qui pour­rait se perdre dans des cir­cons­tances sans inté­rêt, sorte de lan­gage conçu comme sub­stance sic­ca­tive.
Une glace hiver­nale s’épaissirait len­te­ment, coa­gu­le­rait les eaux éparses, figeant les flaques en petit cris­taux. Parce que les lieux sont chair. Qu’ils dépendent de l’ordre phy­sique de la matière.

Expres­sion qu’il faut domi­ner, car ce qui suit la trace dure de la matière prouve l’incomplétude de la chose décrite et la fini­tion sans attente de ce qui est dit de la chose.

II

Ce cahier lui aussi vaut pour mode d’être. Une durée pro­duc­tive. Détruire l’ennui, porte du néant, le néant dont détruire est la clé.
Sur­li­gner quelques réa­li­tés acces­soires. Des­si­ner des zones. Des topos rhétoriques.

Cela ne se recoupe pas à la per­fec­tion, le lan­gage reste plus ample, plus épais. Ainsi, la des­crip­tion vaut davan­tage pour sa for­mu­la­tion que par ce qui s’y trouve décrit.
L’objet est plus faible que l’écriture.

Pas de décou­page neutre. S’agissant de sa propre image, reflet flot­tant dans un espace plus large, le visage devient un élé­ment fac­tuel. Décrire ce visage est plus impor­tant que de défi­nir effi­ca­ce­ment par exemple la qua­lité du vert de mes yeux, sinon à savoir que cette cou­leur était un mau­vais pré­sage chez les Romains : donc pas de fini­tion hors de l’écriture.
Ou alors, une ambi­guïté, un monde double, occupé par deux natures.

Pâques 2021

didier ayres

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