Felix Holt, le radical restait le seul texte de George Elitot inédit en français. Il est toutefois passionnant.
Mais il est vrai que les Français n’ont pas à la tête l’écrivaine anglaise et lui préfèrent “leur” George. A savoir Sand.
Ce roman est pourtant un grand roman politique où s’oppose deux visions du monde — pour faire simple : démocratie et autocratie. Le tout incarné par deux héros principaux qui non seulement s’opposent politiquement mais se disputent le coeur de la même femme.
Ce qui prouve au passage que les positions et théories idéologiques peuvent être biaisées par le jeu d’autres passions.
Comme toujours, pour écrire son livre, l’auteure s’est livrée à un long travail de recherche préparatoire. A la fois dans les journaux de l’époque et l’étude d’historiens (dont L’histoire des puritains de Daniel Neal) et aussi d’ouvrages économiques (dont ceux de John Stuart Mill).
Héritière du roman de XVIIIème siècle — Sterne en premier -, George Eliot n’hésite pas à faire intervenir son narrateur pour dialoguer directement avec son lecteur (ce que Godard reprendra cinématographiquement — dans Pierrot le fou par exemple). Cela donne de l’alacrité à un style — même s’il n’en avait pas besoin– mais permet aussi d’appuyer par des effets de réel plus convaincants dans le pacte de lecture que l’auteure instruit.
Comme Sand, Eliot se veut “moraliste classique” pour au besoin dire leurs faits aux hommes de son temps, en endossant le sort des perdants et en expliquant sur quels jougs repose la loi de certaines destinées. Le caractère résolument réaliste du roman est néanmoins tempéré — ou renforcé — par le recours à des mythes propres à transcrire la réalité moderne de son époque.
Elle fait par exemple référence aux Atrides et cite l’Electre de Sophocle dans l’épigraphe d’un chapitre. Le texte biblique lui-même n’est pas oublié. Et il n’est pas jusqu’à la femme que les deux héros espèrent de faire surnommer Calypso par ses élèves.
Existe donc dans ce récit une polyphonie de voix sans que l’auteure perde la sienne.
Comme toujours chez elle, la tragédie toujours possible se teinte d’ironie et un tel roman prouve qu’Eliot reste l’alter ego de Dickens.
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jean-paul gavard-perret
George Eliot, Felix Holt, le radical, traduction & édition d’Alain Jumeau, Gallimard, Folio Classique, février 2021, 832 p. — 10,90 €.