L’exil du rêve ou la plongée dans la violence
C’est à travers deux frères (double face d’une identité haïtienne) que Lyonel Trouillot rameute le passé et le présent, le rêve et la réalité, l’imaginaire et le quotidien au sein d’un lieu tragique et fait d’une perpétuel attente de ce qui semble ne jamais pouvoir éclore.
Reprenant une des histoires les plus connues de l’île — celle d’Antoine des Gommiers -, l’auteur rend aussi hommage à ce qui se perd en Haïti comme ailleurs : les contes et les récits d’une culture populaire peuplée de sectes, croyances qui fondent une identité. Antoine des Gommiers devient l’ancêtre rêvé et raconté par Antoinette la mère des deux fils.
Elle le considère comme gourou, sage et devin, magnifié par la tradition qui fait de lui un véritable mythe. L’un des fils la croit. L’autre pas.
Entre ces deux postulations comme entre réalisme et lyrisme, Lyonel Trouillot souligne tout ce qui “fait” le peuple haïtien et sa capacité à une forme de résilience.
Car que peut-il attendre ? Et plus que jamais en ces temps troublés où le pays est laissé pour compte.
Se retrouve ici la présence d’une mystique caribéenne. Mais la littérature demeure autant un engagement profond en prise avec le réel et ce qui tue le pays : la corruption et la répression.
La poésie que l’auteur introduit dans sa vision du réel devient la seule porte de salut pour ceux dont, ici, l’existence se scinde en deux postulations : l’exil du rêve ou la plongée dans la violence.
Si bien que les deux fils deviennent des gémeaux invivables mais qui soufflent sur les braises des anges délinquants et exterminateurs qui, sous prétexte de faire vivre leur peuple, ne cessent de piétiner sa liberté dans les diktats de leurs schlagues.
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jean-paul gavard-perret
Lyonel Trouillot, Antoine des Gommiers, Actes Sud] Littérature, Janvier, 2021, 208 p. — 18,00 €.