Pierre Evrard et le trouble de Patty d’Arbanville — entretien

Pierre Evrard pré­sente de vastes pays de soli­tude en plans géné­raux ou rap­pro­chés. Entre rêve et réa­lité, des femmes laissent leur empreinte par­fois sous tel ou tel signe mais jamais appuyé. L’artiste devient le cap­teur de quin­tes­sences là où les por­traits et les pay­sages sont gon­flés à l’hélium du rêve. Il pos­sède une confiance dans l’imprévisible et connaît la fonc­tion du doute créateur.


Il fait le pari de l’immensité et de la han­tise de l’air même lorsque sa focale se rap­proche de ses sujets et de leur élancement.

 Entre­tien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Opti­miste de tem­pé­ra­ment, j’aborde chaque nou­velle jour­née avec la pen­sée qu’elle peut m’apporter quelque chose de nou­veau. Aujourd’hui retraité, je me lève assez tôt car j’aime le calme des matins, le moment où tout s’éveille. Je suis sen­sible à la frai­cheur et à la lumière matinale.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’ai tou­jours eu un peu de mal à me pro­je­ter, je suis un homme du pré­sent. Alors, des rêves j’en ai faits comme cha­cun mais je me suis plus fait por­ter par la vie en essayant de prendre les bons aiguillages aux bons moments.

A quoi avez-vous renoncé ?
Quand on est jeune, on cherche à prou­ver, à soi-même et aux autres : qu’on est le meilleur, qu’on est capable de résoudre tous les pro­blèmes. A l’âge de la retraite qui est le mien, on n’a plus rien à prou­ver sur le plan pro­fes­sion­nel –qui occu­pait jusqu’alors l’essentiel de notre exis­tence, notre car­rière est der­rière nous et on peut se consa­crer à ce et ceux qu’on aime. D’une cer­taine manière, on renonce à ce qu’était notre vie d’avant et on ouvre un nou­veau cha­pitre de notre exis­tence et c’est très bien comme cela.

D’où venez-vous ? 
J’ai eu une jeu­nesse heu­reuse dans une famille aimante.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ? 
Une édu­ca­tion, des valeurs, le res­pect des autres, le goût de la vie.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Oui comme tout un cha­cun. J’aime bien man­ger et bien boire.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres pho­to­graphes ? 
J’ai été formé à l’école de la dia­po­si­tive : le cadrage devait être fait à la prise de vues. J’en ai gardé un sens aigu de la com­po­si­tion de l’image et suis rela­ti­ve­ment exi­geant sur ce plan. Mes pho­tos sont assez académiques.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Ado­les­cent, j’adorais les chan­sons de Cat Ste­vens et en par­ti­cu­lier celle-ci : « my lady d’Arbanville ». Cette chan­son raconte une rup­ture. J’avais découpé dans un maga­zine une photo de Patty d’Arbanville et j’étais trou­blé par sa beauté mystérieuse.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Quand j’avais une dizaine d’années, j’avais gagné comme prix de fin d’année de mon école le livre « les voyages d’Amundsen ». J’étais fas­ciné par les récits de ce grand explorateur.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Pop élec­tro. Fan du groupe Indo­chine depuis sa créa­tion, Rol­ling Stones, Led Zep­pe­lin et tous les groupes des années 70, musique rock et variété fran­çaise : Etienne Daho, Calogero.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’ai relu récem­ment le prix Gon­court « Au revoir les enfants » de Pierre Lemaître. J’aime son humour décalé et absurde, sa manière d’aborder ce sujet sérieux de façon légère et la façon qu’il a de mettre en avant l’égoïsme et cupi­dité de ses per­son­nages. Ce livre illustre bien les tra­vers de nos socié­tés contem­po­raines hyper admi­nis­trées et déresponsabilisées.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Pleu­rer, je ne sais plus mais j’ai été très ému par le film d’Eric Bes­nard « Le goût des mer­veilles » en 2015. C’est l’histoire de Louise, jeune femme entre­pre­neur, veuve, qui manque d’écraser un soir un inconnu au com­por­te­ment sin­gu­lier. Pierre, dans le film est autiste Asper­ger. L’histoire se déroule dans la Drôme pro­ven­çale, au milieu des ceri­siers en fleurs. Magni­fique de sen­si­bi­lité, d’humanisme et d’émotion. Jeu des acteurs parfait.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un homme paisible.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Comme tout un cha­cun, j’ai par­fois été révolté par cer­tains faits d’actualité et cer­taines déci­sions – ou non déci­sions – prises par les hommes et les femmes qui nous gou­vernent. Je me suis dit que j’allais écrire au Pré­sident de la Répu­blique ou à mon député pour expri­mer cette révolte …mais je ne l’ai jamais fait, plus par « à quoi bonisme » que du fait de ne pas avoir osé.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Je cite­rais l’acropole d’Athènes, ber­ceau de notre civilisation.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’aime les acteurs sui­vants : Jean-Pierre Marielle, Michel Gala­bru ou Ber­nard Blier au cinéma pour leur tru­cu­lence ou Jean-François Bal­mer au théâtre pour son phrasé et chez les jeunes actrices : Vir­gi­nie Efira ou Béné­dicte Béjo pour leur spon­ta­néité.
Je n’ai pas une grande culture artis­tique : je m’y connais trop peu en pein­ture ou en sculp­ture pour pou­voir réel­le­ment appré­cier.
En matière d’écrivains, je pré­fère les auteurs contem­po­rains comme Pierre Lemaître, déjà cité ou Pierre Emma­nuel Schmitt ou Phi­lippe Djian.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un beau stylo plume

Que défendez-vous ? 
Je défends la culture et la langue fran­çaise de plus en plus atta­quées.
Je défends l’exceptionnelle finesse de jeu des acteurs fran­çais, je défends l’esprit fran­çais, l’humour fran­çais, la paillar­dise fran­çaise.
Je n’aime pas l’américanisation pro­gres­sive bêti­fiante des esprits via la dif­fu­sion des séries et autres soap opé­ras télé­vi­suels
Quelle tris­tesse de voir notre belle langue enva­hie de mots étran­gers, d’entendre à la radio par­ler de « live » au lieu de « direct », « d’access prime time » au lieu de « début de soi­rée ou de « black Fri­day ». Que je sache « ven­dredi noir » sonne bien aussi…

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cette phrase traite de l’altérité, de la dif­fi­culté pour une per­sonne d’arriver à com­prendre et à satis­faire les désirs de la per­sonne aimée et de la part de la per­sonne aimée d’être en capa­cité d’accepter ce que l’autre a à nous offrir.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Au-delà de la bou­tade, je pense qu’un des fléaux de notre époque est l’absence d’écoute. Cha­cun déve­loppe sa pen­sée sans se pré­oc­cu­per des argu­ments de l’autre et répond en fonc­tion de ses propres centres d’intérêt.

Que pensez-vous de celle de Via­latte “L’homme n’est que pous­sière, c’est dire l’importance du plu­meau” ?
Par ana­lo­gie avec « souviens-toi que tu es pous­sière et que tu retour­ne­ras en pous­sière », cette phrase humo­ris­tique nous rap­pelle la fra­gi­lité de la condi­tion humaine

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
COVID 19, dérè­gle­ment cli­ma­tique, pous­sée des natio­na­lismes et du popu­lisme par­tout dans le monde, détri­co­tage de l’ordre mon­dial par les grandes puis­sances avec les risques de nou­velles guerres que cela implique, y-a-t-il des rai­sons qui vous poussent à res­ter opti­miste sur l’avenir de l’humanité ?

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 14 décembre 2020.

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